7 - J. Rouzel: textes en cours...

Texte 1- Travail social: tout le monde descend.

Texte 2 - Travail social et psychanalyse. La clinique du sujet en formation.

Texte 3 - L’adolescence n’existe pas. 

Texte 4 - Le temps du sujet.


TEXTE 1

Travail social : tout le monde descend.

Intervention aux Entretiens de Saint Etienne. Novembre 1998.

"Là où les humains ne supportent plus la parole, réapparaît le massacre"

Pierre Legendre. La fabrique de l'homme occidental.

Travail social : tout le monde descend... Avec un pareil titre, c'est le terminus que j'annonce. Le train du social ne va pas plus loin. C'est peut-être pas la fin du travail social comme l'annoncent certains, mais la limite au-delà de laquelle il ne peut plus s'exercer. Le travail social est en panne. Passée cette limite il n'y a plus ni voie, ni gare, ni contrôleur... Autrement dit on a construit le travail social en impasse. Je pense ici à un CHRS de Toulouse. Lorsque vous voulez y aller, vous tombez sur un panneau au début de la rue "CHRS, au fond de l'impasse"!

Premier terminus: le travail social n'existe pas.

Tout d'abord pour être tout à fait clair je m'arrêterai de parler de travail social. Premier terminus. Cette catégorie ne recouvre pas une profession, mais un ensemble de corps de métiers dont les spécificités ne sont pas interchangeables: AS, ES, ME, AMP, ETS, CESF, EJE etc, mais aussi chefs de service, directeurs et formateurs Pour ma part j'ai pratiqué comme éducateur pendant plusieurs années et le métier de formateur que j'exerce aujourd'hui, s'inscrit dans la continuité. Le travail social c'est comme quand on parle du bâtiment. Le bâtiment n'est pas un métier, mais un ensemble de métiers complémentaires où chacun, de sa place et en fonction de ses compétences, participe à la construction. Dans le bâtiment il y a des maçons, des plombiers, des électriciens, des charpentiers... qui tous mettent en oeuvre leur savoir faire au service d'un engagement et d'un objectif communs. Il en va de même dans le travail social. Le concept de travail social est un de ces concepts mous, fabriqué dans les ateliers de la sociologie de masse et emprunté par les politiques. Il participe de ce que j'annonçais ici même aux Journées de Saint Etienne il y a un an et demi: la massification des populations et le laminage des singularités. C'est pourquoi je parlerai ici du lieu de ce connais , le travail d'éducateur spécialisé et de formateur.

 

Deuxième terminus. Les missions confiées aujourd'hui aux éducateurs sont des missions impossibles.

On fait porter aux éducateurs le chapeau pour ce qui cloche. La misère du monde, pour emprunter l'expression d'un sociologue à la mode, c'est eux qui se l'enquillent. Sauf que c'est pas une abstraction qu'il prennent de face, mais les être humains qui la vivent. La différence est de taille.

De tout temps les éducateurs ont été assignés à une place de dresseurs et redresseurs. Dans les années 1850 on voit apparaître les premiers éducateurs dans les colonies pénitentiaires: ce sont des garde-chiourmes qui surveillent les jeunes en essayant de les rééduquer par le travail. Ces jeunes sont enfermés pour avoir volé, pillé, et parfois assassiné. Le Préfet de Paris dans une note de 1830 s'inquiète de bandes armées de jeunes de 13 à 17 ans qui pillent les maisons bourgeoises et vont parfois jusqu'à tuer. Ces jeunes viennent des quartier misérables, des faubourgs où l'on manque de tout, et sont déjà largement dévoyés dans leur mode de relation sociale. Sur ce que vivent ces enfants pendant leur enfermement, je conseille vivement la lecture de l'ouvrage de Marie Rouanet "Les enfants du bagne". Les enfants y sont exploités, torturés, enchaînés, soumis à des brimades et des privations permanentes. Les bagnes d'enfants ne seront supprimés que dans les années 30 à la suite d'une campagne de presse qui fait éclater le scandale d'enfants détruits non seulement par la misère, mais, comme si ça ne suffisait pas, par des procédés éducatifs tortionnaires.

1930 - un clou chasse l'autre- c'est justement l'époque où l'on se met à utiliser massivement dans l'Education dite Nationale, un outil révolutionnaire. Il s'agit d'une découverte fabuleuse, qui aujourd'hui encore continue à briller dans nos institutions, une découverte sans précédent : l'échelle métrique de l'intelligence, inventée en 1905 par un psychologue et un psychiatre, Alfred Binet et Théodore Simon. Ce qu'on appelle banalement aujourd'hui le cui. L'application massive de ce pied à coulisse pour mesurer l'intelligence des enfants a des effets immédiats: il y en a un certain nombre qui ne rentrent pas dans la moyenne. Soit il sont trop, soit ils sont pas assez. Résultat des courses: on fait gicler de l'Instruction dite Publique, une partie des enfants, surtout ceux qui ne sont pas assez. Pas assez intelligents, mais aussi pas assez conformes à l'idéal des représentations de l'enfance : parmi eux il y a beaucoup de mal foutus: mongoliens, fous, infirmes etc... Et l'on fabrique ainsi une population d'enfants dont on dit qu'ils ne sont pas adaptés au système scolaire: il leur faut une éducation spéciale. Dans la foulée on crée un corps de métier : les éducateurs dits spécialisés. Spécialisés dans les enfants de l'exclusion sociale. Pour la petite histoire, pendant ce temps là, les colonies pénitentiaires se sont transformées en centres de redressement pour enfants dont il faut croire qu'ils étaient drôlement tordus, et les Ordonnances de 45 vont mettre l'accent dans ces centres sur la nécessité de leur faire bénéficier d'une éducation très spéciale. La boucle est bouclée. Je résume à grands traits mais telle est la logique de l'invention de ce métier : les éducateurs sont comme les enfants et les jeunes dont ils s'occupent. des productions de la machine à exclure.

C'est un deuxième terminus: comment insérer comme on dit des populations qu'on n'arrête pas d'exclure par ailleurs. C'est le tonneau des Danaïdes, le social. Bref mission impossible. Ça ne veut pas dire que l'on ne puisse rien faire, comme je vais m'attacher à le démontrer, mais que le mandat confié aux éducateurs est en soi truqué. Il faut se faire notamment une autre idée de l'insertion pour entrevoir une action possible. Parce que pour le moment ce non-concept d'insertion ne fait que reprendre le masque de la rééducation et de la normalisation. Quand au concept d'exclusion , entendons ce qu'en dit Michel Chauvière dans un article récent paru dans la revue Empan: la notion d'exclusion "apparaît de plus en plus, non comme un concept, mais comme un outil de gestion avec compassion d'une réalité sociale désormais considérée comme naturelle ou inéluctable entre les forts et les faibles. C'est d'ailleurs une simple transposition, avec émotion, d'une catégorie économique négative, les surnuméraires, les inutiles au monde de la production..." Autrement dit érémistes, chômeurs, jeunes des banlieues, immigrés, handicapés, malades mentaux, déviants, inadaptés... même combat. Bons pour la casse. Mais on ne les détruit pas, contrairement au régime nazi, ça peut toujours servir, si ça ne rapporte pas de fric, ça peut toujours rapporter de la considération et du capital symbolique.. "Ah Monsieur le Député vous êtes bien , vous faites tant pour nos jeunes. Dieu vous le rendra.... au centuple" .

On les recycle les débranchés de l'appareil de production dans le marché du capital. C'est dans ce contexte qu'ont toujours été tenus les éducateurs. Mais qu'est ce qui fait qu'aujourd'hui c'est encore plus impossible?

 

Troisième terminus. Le discours de la science tend à détruire les fondements de la fonction éducative.

La société capitaliste et marchande produit et produira de plus en plus d'exclus. Non seulement parce qu'un certain nombre de requins de la finance ont trouvé le moyen de se passer du travail des hommes pour accroître leur richesse, mais aussi parce qu'un stock de miséreux leur permet , je viens de le dire, d'avoir leurs pauvres et de les soigner. Double gain en terme de capital: le fric et le charité. Alors vous pensez, quand vous arrivez aux catégories, non seulement socialement affectées , mais psychiquement ou physiquement non-conformes, ceux qu'on appelle pour enrober la chose, les handicapés, la seule rentabilité qu'on puisse leur trouver c'est de les investir de campagnes humanitaires, ou de faire pleurer dans les chaumières en les mettant en scène au cinéma. L'humanitaire est bien la cerise sur le gâteau du capitalisme, puisqu'il vole aux pauvres et aux inadaptés leur dignité à réagir par eux-mêmes. C'est un des outils principaux de l'aliénation des pays pauvres et de la réification des sujets. Votre pauvreté m'interresse. Votre handicap m'interresse. Ça peut rapporter gros. Combien pour une campagne de pub chez Benetton, pour exhiber des enfants trisomiques? Ils sont si mignons ces braves petits ... Sous entendu ça va se vendre comme des petits pains, les acheteurs pensent en plus faire une bonne action. Vous l'avez compris, dans notre monde , mieux vaut être blanc, beau et friqué, que black et d'équerre!

 

Alors pourquoi aujourd'hui la mission des éducateurs est-elle encore plus impossible qu'hier?Après tout, ce que je raconte à gros traits de caricature, de l'exploitation de l'homme par l'homme, c'est pas nouveau-nouveau.

Mais il s'est produit au cours de notre siècle qui s'achève une révolution de taille. Le discours de la science a peu à peu envahi le monde de la connaissance et de ses transmissions. Ce discours est ainsi fait qu'il tend à évacuer la question du sujet. D'Einstein on retiendra E= mc2. Mais on n'a rien à faire des raisons personnelles, subjectives, tout simplement humaines, qui l'ont amené à cette découverte. On met allégrement de coté ce que réintroduit Patrick Cauvin dans un des ses romans, qu'affectionnent particulièrement les ados: "E=mc2, mon amour". E=mc2, on garde. Mais "mon amour" que voulez-vous en faire?

Ce déferlement des modes de discours de la science, de sa logique, ce qu'on appelle le scientisme, forme totalitaire du positivisme pragmatique, a des conséquences jusque dans les recoins de la vie intime de chacun. Il touche au statut de la vérité. La vérité, n'est pas la mesure, l'exactitude, la preuve. La vérité ne se prouve pas: elle se dit, elle se produit d'une parole. On en est venu à confondre avec le discours de la science savoir et vérité. Des savoirs on n'en manque pas, il y en a à la pelle, à ne plus que savoir qu'en faire. Lisez Lien Social ou ASH, on vous en promet sans cesse de nouveaux en matière de formation.

Prenons un exemple. Récemment on en est venu à exhumer le cadavre de ce pauvre Yves Montand pour faire une investigation bio-génétique en recherche de paternité. Cette enquête génétique était exigée, comme le lui permet la loi, par une jeune fille dont la mère lui disait qu'elle était née de cet homme là. Retenons qu'en son temps Yves Montand confronté à cette affirmation avait dit qu'il n'était pas le père. Comme disent les enfants, c'est cui-là qui l'dit qu'y est; mais du coup il faut bien admettre que cui la qui dit qu'il l'est pas, il l'est pas. La parole du père ici on s'en bat l'oeil, la science tranchera. Or j'affirme avec force qu'on aura beau déterrer tous les cadavres qu'on voudra, on n'y trouvera jamais de père. Ce qu'on peut y découvrir par contre c'est éventuellement un géniteur, c'est à dire l'agent biologique de la reproduction. Un père n'est pas matériel, c'est une fonction, même s'il en faut un ou une pour la porter cette fonction. Je dis un ou une parce que dans chez certains peuples ce peut être une femme qui fasse le père.1 Les êtres humains ne se reproduisent pas comme les animaux. Ils sont produits par et dans la parole. Jusque là une femme disait à l'homme qu'elle aime "tu es le père de l'enfant que je porte". Encore fallait-il que cet homme assume cette parole. Donc un père est produit par la parole d'une femme à qui il fait confiance. Il ne va pas demander une preuve génétique de sa paternité. La vérité c'est que cette femme le lui dit. Jusqu'à ces temps derniers le père était donc fondé sur cet acte de parole. Le droit romain l'avait d'ailleurs bien compris qui indique que "mater certissima; pater incertus" En terme de preuve, la mère on en est toujours sûr, pour le père on ne l'est pas: il faut s'en remettre à la parole d'une femme. On peut dire que cette parole singulière fait advenir une mère et un père. Voila comment fonctionne depuis bien longtemps l'institution de la paternité. Jusqu'à ce que récemment, le droit de la filiation soit modifié. Dans un article paru dans la revue Esprit en 1996, Irène Thery, en vient à conclure que "Croire que l'on peut refonder la sécurité de la filiation sur le fait biologique est l'une des illusions majeures de notre temps".2 En effet , et je reprend ici les paroles fortes de Pierre Legendre, "produire de la chair humaine ne saurait être confondu avec instituer de la filiation".3

Je prends ici à témoin la question de la filiation à titre d'analyseur. On pourrait agrandir le champ d'investigation pour montrer comment le discours de la science a infiltré nos moindres gestes et provoqué une mutation dans nos sociétés qui, si elle n'est pas contrecarrée, les conduira à la barbarie d'abord et à la destruction ensuite.. Qu'est ce qui est touché à ce point? C'est le père, pas le papa, ou le père fouettard, le macho de service ou le petit chef, c'est la fonction paternelle, comme fonction civilisatrice à travers l'instauration des limites et de la loi. Le père en séparant mère et enfant, institue l'altérité et introduit le sujet dans le champ de la parole et du langage. Autrement dit le père est au principe de l'insertion sociale de tout sujet. Qu'est ce qui est gravement touché à travers cette mise à mal de la fonction paternelle? C'est principalement les trois fonctions que transmet le père et qui constituent le socle de tout être humain: l'énonciation, la limite et le jugement.4

 

L'énonciation à laquelle tout sujet est confronté dans le fait de soutenir sa parole propre est invalidée. Si la science dit le vrai, à quoi bon parler? On ne s'interresse plus à la parole de chaque sujet, il peut mentir ou se tromper, mieux vaut faire confiance aux détecteurs de mensonge et à ceux qui savent le pourquoi du comment. Dans nos institutions regardez les ravages effectués par la convocation d'experts5 . On ne demande rien ni aux personnels, ni aux usagers, l'expert dira le vrai sur ce qui se passe. Celui qui dit la vérité c'est celui qui sait, voire celui qui a le pouvoir. On n'écoute plus personne dans notre secteur social et médico-social, on fait de l'audit. Si parfois par bonté d'âme ou scrupule démocratique qui le démange, un directeur a la faiblesse de demander à chacun son avis, c'est pour mieux l'enterrer. "Tous ont causé, qu'est ce que vous voulez de plus, maintenant laissez moi gérer et manager la boutique." Notre société a développé largement ce "cause toujours tu m'interresse". La parole, seule modalité d'institution du lien social entre les humains s'en trouve largement dévalorisée.

 

La limite maintenant. Elle est introduite sous la forme de l'impossible par le père pour faire butée au fantasme de toute puissance du petit d'homme.Le père a pour fonction d'introduire les fils de l'un et l'autre sexe, comme le disent les textes du moyen-âge, à la finitude de la dimension humaine, aux limites, à ce qu'ne psychanalyse on nomme la castration. Or le discours de la science vient mettre à mal le principe même de cette transmission. Elle développe un savoir de toute puissance, où tendrait à disparaître l'impossible. C'est ainsi que j'ai pu lire dans Le Monde récemment que l'abolition de la mort n'est pour la science qu'une question de temps et de moyens techniques. Bientôt nous serons immortels!. Donc la transmission de la loi qui fait limite à chaque sujet pour vivre parmi les autres en prend un coup. Du père nous sommes passé au règne de l'expert. Pas la peine de se casser la tête avec des problèmes épineux comme le clonage des gènes ou la colonisation de la lune. On pense pour nous. De toute façon nous n'en travons que dalle dans ces débats. Laissons tomber, c'est pas pour nous. On va nommer un comité d'éthique, il nous dira que faire. De comité d'éthique en étiquettes on en arrive à produire une morale de Prisunic. Vous la trouverez entre les nouilles et la lessive qui lave plus blanc que blanc.

 

Enfin c'est la faculté de jugement qui est gravement atteinte. Si la parole d'un sujet ne vaut rien, si les limites de l'impossible sont abolies, alors comment faire des choix? Et on le voit bien chez certains jeunes à qui l'on demande ce qu'ils veulent faire plus tard. Non seulement ils ne savent pas, mais ils ne peuvent pas savoir. Car savoir ce qu'on veut faire c'est choisir, donc engager son désir. Qu'ils ne s'inquiètent pas : les tests d'orientation, les bilans de compétences et autres gadgets orthopédo-pédagogiques, choisiront pour eux. Comme me disait un jeune récemment :

- Je voulais devenir sculpteur et on m'a mis en math .

- Pourquoi tu leur a rien dit?

- Mais je leur ai dit, ils s'en foutent. De toute façon c'est eux ils savent. Moi à l'école je suis nul.

 

Et voila où surgit l'actuel terminus des éducateurs. Comment soutenir chez des sujets une parole qui les engage, qui les pousse à assumer des choix, si dans l'espace social ce mode de construction de l'homme est battu en brèche? Les éducateurs interviennent sur la crête de la fonction paternelle comme je l'ai montré dans mon dernier ouvrage paru chez Eres L'acte éducatif. Les éducateurs interviennent dans les failles et les faillites de cette fonction d'humanisation. Ils viennent suppléer à ses dysfonctionnements. Ils prennent le relais du père. On peut les dire éducastreurs parce qu'ils introduisent ceux qu'on leur confie au monde des limites sans lesquelles il n'est pas de lien social tenable. Freud nous le dit dès ses premières conférences d'introduction à la psychanalyse: l'éducation exige le sacrifice de la pulsion.6 Et Pierre Legendre nous le rappelle : le petit d'homme ne peut prendre place dans l'espace social que si on lui transmet la castration. En effet " Il ne suffit pas de produire de la chair humaine pour qu'elle vive, il faut à l'homme une raison de vivre".7 Cette raison de vivre on ne peut la trouver qu'en soi, mais on ne peut la chercher que dans la confrontation à une altérité qui fait limite, là où l'éducation nous fait "pas tout".

Comment transmettre aujourd'hui cette recherche d'une raison de vivre? Comment accompagner des jeunes en souffrance pour qu'ils trouvent en eux-mêmes une raison de vivre si la raison elle même est ramenée à la consommation d'objets industriels. Le seul horizon transmis à nos enfants sera-t-il borné par le super-marché et l'écran de télé? Le super-marché de la culture où l'on deale aussi bien des gaufrettes que des drogues. Le super-marché des images où tout est transformé en spectacle. Deux cents morts en Bosnie prennent place entre deux scores de foot. Pourvu que ça fasse de l'audience!

 

Les éducateurs sont à une place que la société exige de tenir : transmettre les limites. Mais par ailleurs, ces limites, elle s'empresse de les détruire. C'est pourquoi tous les agents de la fonction paternelle, comme les enseignants, les gouvernants et les éducateurs sont en grande difficulté. C'est pas par hasard que Freud désignait ces métiers comme impossibles. Impossibles parce qu'ils sont le lieu d'avènement de la subjectivité, le lieu d'invention de la liberté et de la démocratie. Le lieu où le pouvoir doit se mettre au service de la communauté humaine.

 

Que faire?

Il faut reprendre à partir de ce terminus, construire de nouvelles voies, aller explorer au-delà des gares et élire de nouveaux contrôleurs. Je m'appuierai sur la psychanalyse pour avancer sur cette piste. Je sais que la psychanalyse en agace plus d'un d'entre vous. Il y a même un journaliste de TSA qui a écrit qu'à soutenir ainsi la psychanalyse, je provoquais l'agressivité des travailleurs sociaux. Je ne sais pas si c'est votre cas. Sachez quand même que je n'ai aucun pouvoir de faire sortir une agressivité si , comme le lapin que le magicien fait surgir du chapeau, elle n'est déjà là.

Pourquoi la psychanalyse? Parce qu'elle est l'envers du discours capitaliste. Elle naît au moment même où l'industrialisation se développe et où le discours de la science envahit le monde. La psychanalyse en faisant reposer l'éducation sur le socle de la fonction paternelle et le lien social sur le pacte qui engage chaque sujet dans sa parole, fait antidote au discours de la science. Le seul objet de la psychanalyse, c'est le sujet. Alors que l'objet du capitalisme, c'est la fabrication et la diffusion des objets, y compris de l'être humain considéré de plus en plus comme un objet du marché. Le sujet en tant qu'humanisé mais aussi divisé par la parole et le langage c'est ce qui en l'homme vient faire obstacle à la pente naturelle du marché . Les civilisations, nous rappelle à juste titre Pierre Legendre, sont des fabriques de mots.8 Les mots font limite à la jouissance en tant qu'ils séparent la chose et le symbole qui la représente. Les mots nous séparent des objets. Le langage nous sépare des choses comme il nous sépare aussi des autres. Du coup ce n'est que dans l'accès au langage et à la parole que nous prenons une place de sujet.

 

Le premier angle d'attaque pour un éducateur d'aujourd'hui est donc celui-ci : comment rendre à chacun la parole qu'il a à assumer? Je me suis fâché récemment à Lausanne avec une pédagogue canadienne. Les canadiens sont complètement azimutés par la mode du pragmatisme américain. Elle posait comme équivalents, lors d'une discussion en classe, deux opinions émise par deux élèves , sous prétexte qu'ils employaient les mêmes mots. Elle faisait fi de toute l'énonciation du sujet. En oubliant que l'un par exemple s'exprimait sur le ton de la colère ; et l'autre pour plaire au prof. Bref elle tentait de rayer de la carte le sujet comme effet de la parole. Dans la parole, celui qui parle ne le fait pas que pour transmettre un message, l'énoncé, mais aussi et surtout pour affirmer devant autrui, sa propre existence, à travers l'énonciation. . Donc première piste: restaurer l'énonciation.

 

Deuxième angle d'attaque: la transmission des limites. Et Dieu sait si c'est difficile aujourd'hui. En effet sur quoi fonder son action? Prenons un exemple. Récemment j'ai rencontré un groupe d'éducateurs qui m'ont confié l'histoire suivante. Un jeune vole des cassettes dans un super-marché. Il se fait choper par le vigile et est conduit chez le directeur. Celui-ci est bien emmerdé: l'institution d'où vient ce jeune est un gros client. Il lui passe juste un savon, sans porter plainte et le laisse repartir. L'éducateur fait de même et le directeur de l'établissement également: juste un petit engueulo. Le problème c'est que le soir même ce jeune fugue de l'institution. L'interprétation que je leur ai proposé est la suivante: ce jeune se tire parce qu'il ne trouve personne à qui parler. Il se fatigue à transgresser, sans doute parce que c'est comme pour tout ado, la seule façon de repérer son désir à travers une confrontation à la loi et rien ne répond. Rien ne répond de son acte et donc rien ne lui permet d'en répondre à son tour. Il est dépossédé du sens de son acte. C'est un jeune sans limite. Les adultes qu'il rencontre, directeur du magasin, éducateurs et directeur de l'institution se défilent et démissionnent de leur place d'adultes. Il lui font faire l'économie de se buter dans la loi qui interdit le vol et le punit. La question que je leur ai laissée en partant est celle-ci qu'est ce que devra faire la prochaine fois ce jeune pour se faire entendre: tuer, foutre le feu, se détruire? Ce n'est que dans la rencontre de l'autre qu'un être humain trouve à se construire, encore faut-il qu'il trouve à qui parler.

 

Troisième ouverture: accompagner un sujet à faire des choix. Faire des choix ne relève au fond que d'une position subjective affirmée. C'est en dehors de toute morale ou idéologie. Mais comment choisir quand tout se vaut? Quand les idées perdent leur tranchant, que les valeurs s'émoussent, que les théories se consomment et se consument à vitesse grand V? Le règne des sophistes n'est pas loin. Les sophistes sont ces éducateurs grecs de l'Antiquité qui se faisaient fort d'enseigner la relativité des arguments discursifs. Un jour ils vous démontraient l'existence des dieux et le lendemain le contraire. Protagoras, une des figures du maître sophiste chez Platon proclame que ce qui l'interresse c'est de former les maîtres de demain, ceux qu'il appelle "les bons citoyens". Gorgias un autre sophiste que met en scène Platon affirme que "la rhétorique (c'est à dire l'art de parler) n'a aucun besoin de savoir ce que sont les choses dont elle parle; simplement elle a découvert un procédé qui sert à convaincre, et le résultat est que devant un public d'ignorants, elle a l'air d'en savoir plus que n'en savent les connaisseurs".9 On croirait entendre une description de nos hommes politiques. Si tout est dans tout et réciproquement, si tout ne vaut rien, si la seule cause qui prévaut c'est celle du pouvoir et du fric, alors comment choisir et surtout comment permettre à un jeune de choisir? Le seul choix qui s'impose à lui c'est de jouir par tous les moyens, de jouir sans limite. Pourquoi respecter un chauffeur de bus, ou le bien d'autrui? Pourquoi pas parce que ça vous prend, cracher à la gueule du premier et mettre le feu au second?

 

Platon, en opposition au maître sophiste, met en scène la haute figure de Socrate. Celui-ci déclare qu'il ne sait rien, il veut dire qu'il ne peut rien savoir à la place des autres et il donne comme conseil "connais-toi toi-même" et en position éducative, se définit comme "accoucheur d'âme". Penser, pour Socrate, n'a rien à voir, comme le prônent les sophistes, avec l'adoption du savoir de l'expert, que l'on accumule comme un capital monnayable dans les relations aux autres pour mieux les dominer, non, penser, pour Socrate c'est découvrir sans cesse ce que l'on est en le disant. On peut ici voir poindre deux figures antagoniste d'éducateur. Disons que les Protagoras et les Gorgias occupent aujourd'hui le haut du pavé et pavoisent sous le couvert des sciences cognitives et des processus de l'endoctrinement éducatif.10

 

Le contexte est difficile pour que les éducateurs amènent un sujet à faire des choix qui l'engage. Tout va contre. On dirait que certains jeunes pensent que tout est joué. Certains pensent qu'ils seront le rebut de l'humanité toute leur vie tandis que d'autres s'engraissent. Comment dépasser ces lieux communs, alimentés à longueur de temps par des discours comme ceux de la sociologie. Faire des choix s'est s'assumer en tant que sujet responsable. Il s'agit de retrouver le chemin de l'éthique. L'éthique n'est pas la morale, mais ce qui sert de socle au sujet pour construire son désir.

Restaurer la parole de chaque sujet, transmettre les limites et accompagner à faire des choix. Ces trois socles qui sont en voie de destruction dans la société capitaliste et marchande, sont aussi les trois points à partir desquels les éducateurs peuvent reprendre le train. Mais évidemment on mesure la difficulté. Ça va dans le sens contraire de l'évolution de ce qu'on appelle la post-modernité. C'est une position subversive. Subversive parce que cette position, que j'appelle une clinique du sujet, force l'éducateur à tenir lui-même une place de sujet, soumis à la limite et qui ne peut se dérober à faire des choix. Ce n'est pas ce qu'on demande aux éducateurs aujourd'hui. Ce qu'on leur demande c'est de faire que les personnes qui leur sont confiées se tiennent tranquilles. En les amusant avec quelques gadgets qu'on appelle mesures d'insertion. Or je l'ai dit l'insertion ne s'opère que dans une position de sujet, limité dans sa jouissance et assumant des choix qui sont les siens. Donc il s'agit pour un éducateur de subvertir la commande sociale, et pour cela de devenir un homme rusé. Il s'agit au lieu même de l'aliénation de poser des actes créateurs. Des actes qui visent l'avènement du sujet chez chaque personne qu'il rencontre. Il s'agit de retrouver la métis des grecs, cette qualité qui conduit aux ruses de l'intelligence, dont parlent Marcel Détienne et Jean-Pierre Vernant.11 L'éducation exige de la ruse parce qu'elle est située dans l'entre-deux, dans l'intermédiaire. Entre le politique et les sujets. Quand le politique s'aliène au discours du marché, il s'agit de le subvertir pour faire apparaître au grand jour que le monde des humains ne se construit pas sans croyances, sans fondements, sans valeurs.

Contrairement à ce qu'affirment des penseurs comme Jacques Ion qui n'ont rien compris au travail social, il n'y a pas une alternative entre deux issues: "le psychologisme d'intervention et le modèle managérial" 12 . Les éducateurs ont à la fois à éduquer en fonction des critères que j'ai dégagés quant à la fabrication des sujets, mais aussi à questionner inlassablement, à mener une véritable guérilla conceptuelle, en direction des décideurs, qui sont devenus sourds à la parole des hommes. Là où on veut faire taire les sujets, il se doivent d'être des porte-parole. Là où on leur demande d'éxécuter des politiques sociales de plus en plus folles, ils ont à la ramener, à se faire entendre. Michel Autes dans le n° récent de la revue Esprit consacré au travail social a bien raison de dire que "Ce sont les organisations du travail , la production des cadres d'emploi et le rapport au politique des métiers du social qui sont au centre des difficultés actuelles et non pas les compétences des professionnels, qu'ils agissent aussi bien dans le cadre des institutions sociales traditionnelles que dans les nouveaux dispositifs de l'insertion ou des politiques des villes". Les rapports du travail social au politique ont presque toujours été des rapports de servage et d'aliénation.

Retrouver la ruse et la subversion est la seule voie pour les éducateurs en particulier et les différents métiers du social en général, pour retrouver une dignité. Cela passe, je l'ai martelé ici et écrit ailleurs, par faire savoir ce que l'on fait, ouvrir nos ateliers, expliquer et expliquer encore ce que fait un éducateur, pourquoi il le fait, inventer des mots pour le dire, travailler au corps les concepts qui soutiennent nos actes, parler et parler encore, écrire et écrire encore, envers et contre tout. C'est à dire qu'on ne peut pas s'employer à donner ou restituer la parole aux sujets qu'accueillent nos diverses institutions si l'on n'est pas soi même inscrit de façon combative dans ce processus. Autrement dit le travail éducatif est intimement lié au positionnement politique des éducateurs.

 

Pour conclure je vais lire un passage d'un texte de Pierre Legendre qui m'a beaucoup touché, et dont j'ai cité plusieurs fois des extraits: La fabrique de l'homme occidental. C'est la présentation. Sautez sur ce petit livre, ça ne coûte que 10 francs et on peut le méditer sans fin.

 

Nous partons de cette fatalité que les chemins de la pensée débouchent inévitablement sur l'interrogation immémoriale: au nom de quoi peut-on vivre? C'est à dire pourquoi vivre? Oui, pourquoi?

Il n'est au pouvoir d'aucune société de congédier le "pourquoi?", d'abolir cette marque de l'humain. Et pourtant... L'effondrement du questionnement, en cet Occident trop sûr de lui-même, est aussi impressionnant que ses victoires scientifiques et techniques. La peur de penser en dehors des consignes a fait de la liberté, si chèrement conquise, une prison, du discours sur l'homme et la société un langage de plomb.

Que se passe-t-il? Devenu la chose des sciences, l'animal parlant a quitté , croit-on, le monde ténébreux des généalogies, le mystère a été détruit. A ce jeu-là, le château de cartes s'est écroulé, les échafaudages traditionnels achèvent de s'effondrer sous nos yeux. Etat, Religion, Révolution, Progrès, ces artifices sont emportés par le déchaînement du Management scientifique promis à la terre entière. Qu'allons-nous faire de la désillusion?

Comme les autres civilisations, la Fabrique de l'homme occidental est aux prises avec la certitude de tous les temps: que tout converge, dans l'expérience de l'humanité, vers le point précaire, "la grande douleur confuse" dont parlait le romantique allemand Kerner, la douleur d'être né et de devoir mourir. Nous avons le devoir d'interroger à nouveau cette matière première des pouvoirs, ce point faible en chaque homme, son statut d'individu périssable; mais aussi d'admettre que notre mort a un sens, car elle fait vivre la construction humaine dont nous sommes l'expression passagère, comme dit le poète Virgile, "les pierres vivantes".

Les habitats institutionnels sont construits sur un vide - un vide à partir duquel se déploie la parole et qui porte la pensée. A la croisée des chemins historiques, une tâche s'impose : restaurer le doute, analyser l'agencement des ignorances qui font cortège à la Science contemporaine, surmonter la croyance obscurantiste d'aujourd'hui. Instituer la vie : tel est le maître mot qui résume cette tâche. La Fabrique de l'homme n'est pas une usine à reproduire des souches génétiques. On ne verra jamais gouverner une société sans les chants et la musique, sans les chorégraphies et les rites, sans les grands monuments religieux ou poétiques de la Solitude humaine.

 

Instituer la vie, tel est bien le maître mot. Telle doit être aussi la visée de toute institution. Dans cette institution de la vie, les éducateurs et les travailleurs sociaux sont aux avants-postes. Le combat fait rage. Il y a beaucoup de monde sur le carreau. Parfois nous ne savons plus quoi faire, ni même si ça vaut le coup de se battre. Il règne une telle obscurité dans notre monde que nous ne nous reconnaissons même plus entre nous. La seule chose à quoi se raccrocher c'est cette énigme qui fait l'humain, ce vide au coeur de l'homme, comme dit Legendre. Rallumer chez chacun, pour chacun, la petite lampe qui indique cette énigme, voila la tache passée, présente et à venir de ceux qui travaillent le social, comme le social les travaille. L'animal bipède et parlant qu'à engendré l'univers, sans qu'on en sache jamais la raison, ne devra son salut qu'à retrouver en chaque sujet et dans ses relations aux autres, la brûlure de cette énigme. Tel est ce point où tout le savoir du monde ne peut épuiser la vérité de l'être.

 

Joseph ROUZEL


TEXTE 2

Travail Social et psychanalyse. La clinique du sujet en formation.


Etats Généraux des Formateurs à Bordeaux le 6 mars 1999.


La promesse.

“Le sujet et l’institution sont les deux pieds sur lesquels s’avance une dynamique de formation. Une approche de la formation est-elle soutenable à partir de la psychanalyse? Qu’est ce qu’un acte de formation? Nous voulons mettre à l’épreuve cette idée que la psychanalyse représente un savoir spécifique qui interroge non seulement les divers champs des savoirs et des savoir-faire, mais aussi le désir qui mène chacun à s’y engager. L’éthique de la psychanalyse pousse les formateurs et les travailleurs sociaux à se questionner en permanence sur la place qu’ils occupent dans l’espace social. Le discours analytique représente de fait une tentative pour affronter le malaise social, non pour l’évacuer, mais pour en situer plus précisément les contours, afin d’engager des actes en connaissance de cause.”

Ce petit texte représente l’annonce de mon engagement dans cette journée de réflexion sur la formation organisée par l’AFORSSSE.

Evidemment entre la promesse et ce qu’on tient, il y a un écart. Dans le défilement inexorable du temps opère un déplacement. C’est d’ailleurs une des premières conditions de la formation que cette prise en compte des déplacements subjectifs liés au cheminement de la pensée. C’est un processus que l’on pourrait dire au sens premier du terme, de transformation, c’est à dire passage d’une forme à une autre. Le “je pense” n’est qu’une reprise, une assomption du “j’ai été pensé” et “ça pense en moi”. C’est ce que Freud pose à la base des “pensées du rêve” et de son récit. Mais le processus de formation dans le travail social, qui doit aussi être finalement une prise en compte des formations de l’inconscient, peut amener à ce degré d’assujettissement : se faire le sujet de ce qui s’est formé ailleurs. Illustration on ne peut plus juste du fameux “wo es war, soll Ich werden”, autrement dit, là où ça a été pensé, il faut lui donner une forme, c’est à dire, l’écrire, le dire en son nom propre. Du ça au je, n’y aurait-il pas à la racine du procès formatif cette dimension de “ça-je”?




Le déplacement


I -Du point de vue de la psychanalyse.

Il s’agit de situer les relations entre la psychanalyse et la science. Je n’irai pas par quatre chemins. La position de Freud est claire: “La psychanalyse est la science de l’inconscient”. C’est à dire cette part de la science qui lui échappe d’être prise dans une dimension subjective. D’autre part Freud insiste pour placer la psychanalyse non pas dans le sillage des sciences humaines, comme on le pense naïvement, mais dans celui des sciences de la nature, comme la biologie ou la physique. Cette position spécifique du père de la psychanalyse fait du savoir analytique un savoir incasable. Science de ce qui par essence est forclos de la recherche scientifique, le sujet, la psychanalyse exige cependant une démarche rigoureuse située clairement dans le champ de la logique. C’est une science des bords et des marges, une science de ce qui échappe à l’homme tout en étant ce qui le fonde. Science des bords fondée sur une pratique singulière. Dans un article pour une encyclopédie, Freud détache trois grands axes pour la psychanalyse:
- une méthode d’investigation du psychisme inconscient;
- une méthode de traitement, la cure;
- une conception psychologique de l’être humain.

C’est une point important puisqu’on peut à partir de ce que je viens d’énoncer des rapports entre la science et la psychanalyse, tirer les 2 champs qui structurent toutes les formations des travailleurs sociaux , à partir de deux types d’interventions en formation:
- l’acquisition de savoirs, principalement issus des sciences humaines: droit, économie, sociologie, psychologie, philosophie...
- la mise à la question de ces savoirs pour les relativiser et les réintroduire dans un processus d’appropriation subjective. Ces espaces d’élaboration ouvrent chaque sujet en formation (entendons le terme dans toute son équivoque) à une confrontation, dans un collectif, aux théories et à une pratique. Là m’apparaît pertinente une place pour la psychanalyse. C’est une place ironique au sens où elle engage chacun à questionner ce qui lui arrive. Ironie portée autant par les formateurs que par les personnes en formation.

Ainsi un peu dans tous les centres de formation, à côté des axes d’enseignement dispensés en grand groupe, voire pour certains en amphi, nous avons des dispositifs issus historiquement de la rencontre entre le travail social et la psychanalyse, des espaces d’élaboration en petits groupes. Selon les lieux, on trouve les appellations suivantes : EEP (élaboration de l’expérience professionnelle), ASE (analyse de situation éducative), groupes d’analyse des pratiques, groupes d’analyse de situations, ateliers cliniques... Le problème qui commence à poindre c’est que ces espaces d'élaboration du rapport au savoir et de la confrontation à une pratique diminuent comme peau de chagrin au profit des enseignements. Certains formateurs en viennent même à estimer qu’il s’agit de temps perdu. Ce qui compte pour eux c’est d’accumuler des savoirs savants. Des savoirs savants dont les personnes en formation estiment bien souvent en fin de parcours qu’elles ne savent pas quoi en faire. Du savoir, il y en a à la pelle, à ne plus savoir qu’en faire... Construire ce savoir-faire avec le savoir, ne s’apprend pas dans les livres ni dans les cours, mais dans un long travail de confrontation de chacun à son propre désir face aux savoirs de la science. Ce type de travail issu de la psychanalyse permet de remettre la production de la vérité dans les mains du sujet au lieu de l’écraser sous l’accumulation des savoirs. La pratique d’enseignement issu de la psychanalyse force à faire un virage à 180° face aux positions classiques de transmission des savoirs. Ce n’est pas le savoir qui prime, mais ce qu’un sujet peut en faire... Ce point m’apparaît fondamental, car par ricochet il conditionne un positionnement éthique dans le travail social. Dans la même veine je peux affirmer qu’en situation éducative, ce n’est pas l’adresse de l’ANPE qu’il s’agit de transmettre à un jeune désarrimé du lien social, mais bien de l’aider à élaborer les raisons personnelles de s’y rendre.

La démarche scientifique née chez les Grecs, après un temps de sommeil est réapparue en Occident avec la Renaissance, quand des penseurs se sont alors autorisés à penser en dehors du dogme de la foi pour se soumettre aux lois de la raison. C’est vers cette époque qu’est né par exemple le concept de projet qui fait les choux gras de la modernité. Ce terme qui a émergé d’abord dans le contexte de l’architecture, avec les travaux de Brunelleschi à Florence et sa formalisation de la perspective, a infiltré petit à petit le champ social. Dans la pensée scientifique il réorganise la conception de l’espace avec les découvertes de Bruno, Galilée, Copernic, ou encore la découverte d’un monde nouveau par Christophe Colomb. Il modifie profondément la perception du temps : la projection du désir vers l’avant, tire désormais l’homme vers une maîtrise du monde. Ensuite dans les années pré-révolutionnaires, ce concept de projet va constituer l’architecture des modes nouveaux de socialité. Jusqu’à son arrivée aujourd’hui, où le concept, mis à toutes les sauces, alimente la tentative tyrannique d’une totale maîtrise de la vie et de ses événements. Le concept de projet parvient aujourd’hui à sa fin, il est pris dans l’aboutissement et l’impasse du discours de la science, qui verrait , comme le fait dire Corneille à un de ses personnages, l’homme “maître de lui-même comme de l’univers”.

La prolifération du discours de la science se fait au détriment de quelque chose de particulier chez l’être humain : tout dans l’homme n’est pas connaissable. Il y a chez chaque être humain une énigme, un mystère, une zone d’opacité irréductibles, qui échappent à la science. C’est cela justement qu’est venue ramener au jour la psychanalyse en se constituant de fait comme l’envers du discours de la science. Cet envers du décor c’est proprement l’inconscient comme lieu du sujet. On pourrait dire l’inscience, au sens où l’inconscient est le lieu d’un savoir insu. Du fait d’être fabriqué comme être parlant l’homme produit tout à la fois du savoir et de l’insu. Cet insu Freud le repère comme faisant irruption dans les paroles et les actes des sujets: lapsus, oublis, actes manqués, rêves, symptômes... Ce qu’il approche comme formations de l’inconscient. C’est un point important à repérer, parce que dans la formation des travailleurs sociaux, c’est justement à partir de ces formations de l’inconscient que l’on travaille. Formations qui viennent signer une position subjective à travers les différentes commandes de travail : écrits, recherches, réflexions, cours, stages...qui engagent le sujet dans la confrontation aux formes singulières qu’emprunte son désir pour se dire.
Le problème actuel est que le discours de la science qui se spécifie de mettre à l’écart toute question subjective a peu à peu envahi l’ensemble des discours sociaux qui règlent le vivre ensemble des sociétés modernes. Ce n’est pas la science ni les scientifiques que je remets ici en cause, mais cette prolifération d’un type de discours qui vise a éliminer dans les relations sociales la part de subjectivité.

Ma thèse est la suivante : la société issue du discours de la science, que l’on peut résumer des deux adjectifs, capitaliste et marchande, a gravement déstabilisé les modes de transmission entre humains. que ce soit dans l’ordre de la filiation, de l’éducation ou de l’apprentissage.
Je m’explique. L’agent de la transmission, ça se savait bien avant l’avènement de la psychanalyse, c’est le père. C’est le père qui en castrant l’enfant de la toute jouissance de la mère, l’introduit à la dimension sociale par un inter-dit. Un inter-dit ne se réalise que dans l’ordre du langage. C’est ce qui est dit entre deux humains et qui les institue en tant que tels... Or c’est précisément cette fonction humanisante du père qui est touchée aujourd’hui. Sûrement pas dans sa dimension symbolique, qui en fait, comme le rappelle Freud dans Totem et Tabou, un père mort. Ce qui est déstabilisé ce sont les relais, les supports de la fonction. Le contexte social dans lequel nous vivons, pris par le déferlement de mots d’ordre qui visent à “jouir sans entrave” des biens de consommation, tente de balayer les représentants de la fonction de castration qui y font obstacle. Parmi lesquels les soignants, les parents, les divers éducateurs, les politiques... Ces trois types de métiers que Freud dans sa préface à l’ouvrage d’August Aïchhorn qualifie justement d’impossibles. Ceux qui jusque là assumaient la fonction de régulation sociale, sont détrônés par les lois du marché. Du coup ce qui est venu remplacer le père, c’est l’expert. L’expert tente de fonder la vérité à l’aune du savoir savant. Nous sommes entrés dans une terrible zone de confusion entre savoir et vérité. En effet la vérité ne peut jaillir que d’un sujet parlant. La vérité concerne ce qu’il en est d’un sujet assujetti à l’ordre social, c’est à dire de son mode d’insertion dans le langage. Il n’y a pas d’autre vérité pour la psychanalyse que celle qui fait parler un sujet. Non seulement ses énoncés signent sa position, mais plus encore son énonciation. En rabattant cette parole de vérité sur le registre de la preuve et de la vérification, le discours de la science touche aux modes de structuration des sujets et des sociétés qui les font naître. D’où un déferlement impressionnant aujourd’hui de sujets désarrimés du social. La racine de ce qu’on appelle la crise est bien là. Le chômage, la délinquance, certaines formes particulièrement spectaculaires de perversion, la psychotisation d’un nombre croissant de nos contemporains, en sont les effets et non la cause, comme nous le clament les analystes socio-économiques à la mode.

Quelles conséquences dans l’espace social?
1- Sur le plan collectif si le seul savoir reconnu est du coté du savant, alors la parole des sujets est gravement vidée de son sens. C’est ce que nous apprend à titre d’analyseur l’affaire Montand. Un père jusque là naissait de la parole d’une femme, en admettant qu’il s’y soumettre. Montand confronté à l’époque à la parole de la mère d’Aurore avait affirmé qu’il n’était pas le père La recherche en paternité inaugurée sur le cadavre du chanteur pour en tirer un père, subvertit tout lien de filiation comme issu d’une parole et réduit la génération à "l'avènement d’une conception bouchère de la filiation” (Pierre Legendre, Le crime du caporal Lortie, Fayard, 1989)
2- Sur le plan subjectif. Le sujet est touchée dans trois fonctions de base:
- l’énonciation;
- l’assomption de la castration;
- l’éthique du choix.

II. Dans la formation et la pratique des travailleurs sociaux, qu’est ce que ça donne?

Sur le plan du travail social: un renforcement des contraintes. Dans le même mouvement on fait marcher deux temps contradictoires du même processus : d’un coté on fabrique à tour de bras des exclus; d’autres part on mandate des travailleurs sociaux pour les réinsérer. C’est un mouvement sans fin qui tend plutôt à s’emballer ces derniers temps. L’exclusion, qui est en fait une des conséquences logiques du capitalisme et du discours de la science, est enrobée dans un discours lénifiant, très teinté de charité chrétienne ou laïque, et qui reprend en gros les arguments déployés jusque là envers les pauvres et les surnuméraires. Les exclus sont désignés comme le ratage de la stratégie de jouissance de nos sociétés modernes, il faut donc qu’il y en ait qui les remettent sur les rails de cet impératif de jouissance. La position des travailleurs sociaux est de fait impossible. Ils sont assignés à faire le bonheur malgré tout de ceux pour qui l’ensemble social est en faillite. S’ils veulent tenir une position, les travailleurs sociaux doivent se décaler de cet impératif à faire le bonheur des autres, pour les approcher comme manquants. Nul ne peut faire le bonheur d’autrui, pour deux raisons: le bonheur est une illusion. C’est pourquoi Freud pose comme ligne d’horizon de la fin de la cure d’assumer “une malheur banal”. La deuxième raison est que cette assomption de l’incomplétude de son être ne peut être réalisée que par le sujet lui-même. D’où une seule voie praticable pour les travailleurs sociaux : s’assumer comme manquants et accompagner ceux qu’on leur confie dans cette “réalisation” du manque. D’où l’expression de Lacan: “ l’amour, c’est donner ce qu’on n’a pas”. On peut en dire autant du travail social ou de la formation.

Sur le plan de la formation. Tous les centres ne sont pas atteints au même degré. Heureusement un certain nombre de centres de formation, surtout les centres unifilière d’ailleurs, font comme le village d’Astérix et Obélix, Petibonum: ils résistent.
Malgré cela nous pouvons voir se dessiner des tendances lourdes dans les appareils de formation du travail social:
- mise en place du règne des technocrates gérant allègrement budgets et personnel sur le même mode, à partir d’une mise en application du management industriel.
- cloisonnements hiérarchiques de plus en plus clivés. Il s’agit de gagner, sur des missions ou des secteur d’activité, le maximum de productivité. Surtout pas de coordination, ou d’articulations qui permettraient à chaque formateur de se repérer dans un ensemble, de prendre place. Il s’agit de fonctionner de façon étanche. Hyper-hiérarchisation et éclatement vont de pair. Inutile de préciser que dans un tel contexte les notions d’équipe de formateurs ou de collectif de formation en prennent un coup. Quant aux directeurs ( dont le plus souvent la fonction est éclatée en des sous-directions multiples, qui sont autant de “manque à former”) ont peut dans beaucoup de cas se demander ce qu’ils tiennent comme “direction”.
- de fait on peut constater qu’un peu partout les formateurs tendent à être réduits au rôle d'exécutants, conséquence des modes d’organisation du travail. Ils sont de plus en plus mobilisés par des taches d’organisation, de plannings, de programmation de salles, de recherche de vacataires...

Pour résumer la situation plutôt grave, cette petite anecdote tirée du quotidien du terrain, que l’on pourrait aussi bien imaginer dans certains centres de formation. Une éducatrice est venue un jour trouver son chef de service, pour lui dire que ça ne pouvait plus durer, le manque de respect du travail des éducateurs, la non prise en compte de leur parole, le manque d’espaces de concertation, etc... Elle a ajouté: “si on n’a plus les moyens de penser ce qu’on fait, ce qu’on fait n’a plus de sens”. La réponse du chef de service a été cinglante: “je vous interdit de penser”. On en est là. Big Brother nous guette dans l’ombre.

Surtout ne pas penser. Faire, faire et faire encore des choses et des choses. Construire des grilles et des plannings, faire des listes pour des groupes, remplir le temps, courir après des vacataires... Et comme les formations initiales ne suffisent plus à payer les personnels des centres de formation on assiste depuis quelques années à une course effrénée au marché de la formation continue, au risque de faire sombrer les formateurs dans un activisme dément. Dans certains centres la formation continue représente 50% de la masse budgétaire. Comment dans ce cas maintenir une cohérence de service public? De plus, et cela va de pair, dans la plupart des centres de formation les dispositifs pour construire le sens sont soit vidés de leur contenu, soit évacués. Combien de centres ont su se doter de séances d’analyse des pratiques, de régulation ou de supervision pour les formateurs?...Alors que c’est un travail que nous exigeons des personnes en formation. Les jeunes formateurs mettent rapidement le doigt sur une incohérence de taille : il n’existe pas de formation pour les formateurs. Chacun se débrouille et apprend sur le tas!

Sur le plan pédagogique.
Ce que je dis a des conséquences mesurables, notamment dans l’afflux des savoirs savants où sont convoqués les experts de l’université, les intervenants des sujets pointus. Cela se traduit par:
- une montée en puissance des intervenants extérieurs (plus de 500 dans certains IRTS)
- un bombardement de savoirs inarticulés , en miettes, saupoudrés.
- un empilement incohérent de savoirs. Parmi ces savoirs, après le règne du tout psychologique, on assiste à une montée en puissance de la sociologie, de plus en plus poussée en avant comme discours dominant. Après la psychologisation du travail social, déferle sa sociologisation. La tentative est gouvernée en sous-main par la même volonté: maîtriser , réifier disait Marx, les sujets qui dérangent l’ordre social. C’est dans tous les cas un débordement tyrannique des savoirs de leur champ de pertinence.
En ce qui concerne les personnes en formation, on ne peut malheureusement que constater trop souvent:
- un désinvestissement : la plupart sont déjà passés par l’université; ils en sont revenus, et- comme me disait un élève en dernière année ES :” je me suis vraiment emmerdé, j’attendais autre chose”.
- l’émiettement et l’incohérence des savoirs accumulés produit une impossibilité à se repérer dans les actes du travail social. Il n’y a pas de passage directement possible par exemple entre un acte éducatif et un concept de la sociologie. De plus ces savoirs mis bout à bout ne permettent pas de construire des référentiels professionnels. Le travail d’équipe comme lieu d’une construction permanente de sens est négligée au profit d’une instrumentalisation des personnes prises en charge. Le sens critique qui permet aux travailleurs de soulever, comme dit Jean Oury que “ça ne va pas de soi”, est gommé au profit d’un profil soft et passe-partout de professionnel. “Finalement, me confiait récemment une chef de service éducatif, au cours d’une visite de stage, vous fabriquez des moutons”.
- sur le terrain cela produit une vision globaliste du travail social, avec une massification des populations: on travaille avec des catégories dites “populations” (érémistes, délinquants, jeunes de banlieue, trisomiques) où la question du sujet est là aussi scotomisée. Il y a une perte de la dimension clinique, qui consiste à approcher l’autre dans son altérité. La relation et la rencontre humaines comme moteur du travail social est soit déniée ( ce serait uniquement des procédés de manipulation) soit carrément instrumentalisée (les techniciens de la relation à travers la systémique, la PNL et autres pratiques ont le vent en poupe). Certaines professions comme les assistants de service social sont même carrément reléguées dans une fonction unique de contrôleurs sociaux. Je me souviens d’une jeune AS qui a été embauchée au service du RMI. Elle disait “je n’ai pas fait 3 ans d’études pour mettre des coups de tampons sur des dossiers”. Et pourtant qu’est ce qu’on lui appris à faire d’autre, si elle ne peut même pas faire valoir sa spécificité? Alors, les travailleurs sociaux seraient-il en train de devenir les nouveaux chiens de garde du capitalisme?

L’éthique.

Introduire en formation une personne à la dimension de l’éthique consiste d’abord à affirmer des valeurs, des croyances, des points d’appui sur lesquels le collectif va pouvoir se déployer. Ce que Lacan appelait des semblants. Interrogez les centres de formation et vous serez surpris. La présentation glisse très rapidement sur l’organisation. La mise au travail de valeurs est évacuée: elle dérange parce qu’elle force à un questionnement permanent. On préfère se rabattre sur la mission. Les centres de formation ont pour mission de former des travailleurs sociaux, un point c’est tout. Pour faire quoi? Quels travailleurs sociaux, formés à partir de quels présupposés? Pour mettre en jeu quelle conception de l’homme? Autant de questions qu’il vaut mieux ne pas poser, c’est plutôt mal vu... L’éthique veut que chacun soit encouragé à tenir une parole qui lui soit propre. C’est pourquoi Lacan définit l’éthique comme éthique du bien dire, seule base de construction d’actes socialement engagés. Mais les dispositifs pour construire l’éthique exigent une confrontation permanente à la parole de chacun. Ces dispositifs de confrontation sont plus que défaillants entre formateurs, directions, Drass, représentants politiques, professionnels du terrain, usagers... C’est justement sur cette ligne de faille qu’AFORSSSE est venu se poser. Faire du lien social ne peut en passer que par la reprise pour chacun, quelle que soit sa position sociale, quelle que soit sa fonction, d’une parole qui lui soit propre. Cela ne peut se faire sans des espaces de socialité aujourd’hui pratiquement inexistants, ou désertés, ou parasités par le fonctionnement, quand ils ne sont pas confisqués par les dirigeants. Comment créer des lieux de forum, d’échange, où puisse se construire la citoyenneté de demain? C’est tout l’enjeu du travail social et de la formation au travail social d’aujourd’hui. Dans le processus de formation la dimension institutionnelle comme lieu d’apprentissage du vivre ensemble est incontournable. La connaissance des dynamiques instituantes d’un collectif s’apprend en le faisant. Force est de constater que cette dimension pourtant pionnière des premiers temps de la formation, cède peu à peu le pas au management, où l’institution se réduit à l’organisation. Or l’institution de la pensée ne saurait être désarrimée de la pensée de l’institution.

Conclusion
Quelle position possible dans la formation aujourd’hui?
On ne prend guère la voie que je dégage, à savoir, la prise en compte de la parole des sujets, la transmission de la castration et l’incitation à l’éthique.
Il s’agit alors de créer des espaces de subversion. A l’intérieur et à l’extérieur des centres de formations. Des réseaux de résistance internes et externes. D’ouvrir des lieux dedans/dehors invitant à l’élaboration de chacun. Des séminaires, des groupes de travail, des groupes de réflexion, des bistrots du social, comme il s’en est monté un à Montpellier etc.. Il me semble que se dessine aujourd’hui un léger mouvement dans ce sens, à travers la création de nouvelles associations. Il ne s’agit pas de fédérer ce mouvement mais de l’accompagner à subvertir la raison du maître, politique, économique et médiatique, auquel le discours de la science apporte sa caution. Le travail social ne se fera pas sans cette mise en création permanente entre tous les partenaires concernés par la formation.
Deuxième point : le positionnement clinique des formateurs. Y-a-t-il une clinique des actes de formation? Je pense que oui et pour ma part j’en ai développé les coordonnées à partir de la psychanalyse. Un certain nombre de travaux jalonnent cette position : Les ouvrages d’August Aïchhorn (que je vais publier dans une nouvelle traduction aux Editions du Champ Social), Mireille Cifali, Francis Imbert, Maud Mannoni, Annie Cordié, Daniel Roquefort, Martine Fourré, Jeanne Granon-Lafont, et de nos amis Bernard Montaclair et Pierre Rico etc... Il existe un certain nombre de travaux tout à fait conséquents pour servir de base à une formation où la question clinique reste centrale. Cette position repose sur deux affirmations que je tire de l’enseignement de Lacan.:
- il n’est de clinique que du sujet;
- il n’est de clinique que sous transfert.


La formation, c’est à dire la mise en forme d’un savoir et d’une position subjective dans un acte, ne peut se passer des formes mêmes qu’impose le langage. La formation avance donc sur ces deux pratiques langagières que sont la parole et l’écriture. Force est de constater qu'autant la prise de parole que la mise en écrit pratiqués dans les centres de formation sont d’une pauvreté affligeante, reproduisant les modèles scolaires les plus stériles. Sur le plan de l’écriture, je suis heureux d’avoir secoué le cocotier il y a quelques années en créant une collection consacrée à l’éducation spéciale chez Eres. Depuis les journaux ou bulletins, se sont multipliés. Certains s'éteignent malheureusement, comme PEPS. D’autres sont accaparés par des groupes idéologiques comme Lien Social. D’autres enfin naissent comme Profession Educateur, de nos amis de Lausanne. L’écriture des éducateurs est en voie d’invention, hors des sentiers battus. Elle emprunte des formes nouvelles, comme le récit de pratique, la poésie, et parfois, comme pour un groupe d’AS d’une cellule d’appui RMI, le théâtre. Je ne crois pas que les travailleurs sociaux aient grand chose à gagner, pour se faire entendre, à réduire leur expression écrite à de la littérature grise. Quant à la prise de parole, j’espère que de plus en plus de travailleurs sociaux (parmi lesquels les formateurs, qu’on n’entend jamais) se risqueront dans une parole singulière lors de colloques, rencontres, journées de réflexion qui sont actuellement occupés par ceux qui parlent à leur place, généralement pour leur expliquer ce qu’ils ont à faire.

La recherche.
La mienne passe par le courant analytique et ses apports au travail social. Mais je n’ai pas d’exclusive. Il serait intéressant que des collègues formés à la sociologie et l’anthropologie, se risquent à penser une logique de la formation à partir de ces savoirs, au lieu de produire des super-structures savantes surplombant les intervenants sociaux. L’ouverture de Thierry Goguel d’Allondans posant la formation comme une initiation, me parait riche de promesses. Elle est d’autant plus fondée que le travail social se transmet des aînés aux plus jeunes. Il faudrait pousser plus loin et essayer de penser les dispositifs de formation qui permettent de soutenir une telle approche. Il y a sûrement à repenser à partir de là toute une mise en jeu des collectifs et groupes en formation. L’expérience des collègues d’Aubervilliers prenant en compte des sujets à partir de leur expérience dans l’environnement qui est le leur est aussi une voie à poursuivre.

Si je reprends la célèbre formule d’Ivan Illitch Lénine “Que faire”, je résumerai ainsi ma position. Même si elle peut paraître pessimiste, comme on me le reproche souvent, je crois qu’il y a de la marge de manoeuvre, à condition de ne pas lâcher sur l’essentiel.
Savoir et vérité. Il s’agit dans tous les cas de restaurer l’énonciation des sujets dans des groupes de formation qui visent:
- l’appropriation subjective des savoirs;
- l’articulation permanente à une clinique;
- la confrontation au collectif instituant, en formation, sur le terrain...
- la connaissance active et critique de l’environnement de l’action sociale.

Le transfert.

Transmettre les limites, la castration... Telle est finalement le lieu du transfert. C’est le lieu de la désillusion, le lieu où doit chuter l’illusion de toute puissance de l’apprenti travailleur social. ça se fait dans la relation. Le transfert, parce qu’il réactualise la perte de l’objet, est au coeur des pratiques sociales dont la pratique pédagogique en centre de formation est un prolongement. Seul le travail du transfert pour les formateurs et les personnes en formation, permet de déboucher sur un authentique transfert de travail. C’est à partir de là qu’un apprentissage sérieux d’un métier peut opérer.
Les outils pédagogiques
Si le formateur n’a pas à s’exciter dans la course aux savoirs, il a cependant un certain savoir à transmettre. Peut-être un savoir dont il peut s’autoriser. Un savoir qu’il tire de sa pratique, soit antérieure comme travailleur social, soit actuelle comme pédagogue. Et à ce sujet il est dramatique que l’on déroge sur une des dispositions des textes, notamment pour la formation des éducateurs, à savoir que le formateur ait exercé pendant au moins cinq ans le métier.
Je répugne ici à désigner du nom d’étudiant, comme on le fait un peu partout, ceux que l’on forme. Cette appellation fait passer le travailleur social en formation sous les fourches caudines de l’université. Mais le terme d’élève que j’emploie parfois ne convient guère mieux, il renvoie à l’école. Je passe par une périphrase, “les personnes en formation”, mais c’est un peu lourd. Comment les nommer ces personnes en apprentissage des métiers du social? Des formants, serait le terme le plus juste. En effet si vous m’avez suivi, vous comprendrez qu’il n’est pas possible de former qui que ce soit. La formation est un processus de construction que chaque sujet pris un par un doit réaliser pour son compte. Il y a un nouveau concept à inventer pour dire cette part active que doit prendre toute personne en formation.

Les formateurs quant à eux sont garants des dispositifs et des directions dans lesquels ces personnes vont faire leur chemin. Le formateur est garant des cadres et des règles. Il est un agent de la loi du père, de la loi de la parole, mise à mal dans nos sociétés post-modernes. Il a en tant que tel à introduire les personnes en formation à la dimension du collectif, où le sujet doit apprendre à vivre comme un parmi d’autres. C’est ce qu’énonce Freud dans ses conférences d’introduction à la psychanalyse. Il définit d’emblée l’éducation comme “le sacrifice de la pulsion”. Par contre dans le travail social, comme dans le travail de formation, la transmission tombe sur un os, un impossible : il y a dans la pulsion quelque chose d’inéducable. Conclusion: la formation doit laisser... à désirer.



Joseph ROUZEL
Bibliographie.

August Aïchhorn, Jeunesse à l’abandon, Privat, 1973. (Nouvelle traduction à paraître aux Editions du Champ Social)

Sigmund Freud, Correspondance avec le pasteur Pfister, Gallimard, 1966.

Mireille Cifali, Freud Pédagogue? Psychanalyse et éducation, Inter-Editions, 1982.

Catherine Millot, Freud anti-pédagogue, Navarin.

Anna Freud, Initiation à la psychanalyse pour éducateurs, Privat, 1986.

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Martine Fourré, Les lieux d’accueil. Espace social et éthique psychanalytique, Nice, Z’Editions, 1991.

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Joseph Rouzel, Le travail d’éducateur spécialisé. Ethique et pratique, Dunod, 1997.

Joseph Rouzel, Le quotidien dans les pratiques sociales, Théétète, 1998.

Joseph Rouzel, L’acte éducatif. Clinique de l’éducation spécialisée, Erès, 1998.

Jean-Bernard Paturet, De magistro. Le discours du maître en question, Erès, 1997.

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Transitions (Revue de l’ASEPSI), N° 34, Acte et transfert en pratique sociale, 1993.


TEXTE 3

L’adolescence n’existe pas.

Paru dans la revue "Cultures en mouvement"

 

En ce temps-là j’étais en mon adolescence

J’avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de

mon enfance

J’étais à seize mille lieues du lieu de ma naissance

J’étais à Moscou, dans le ville des mille et trois clochers et des

sept gares

Et je n’avais pas assez des sept gares et des mille et trois tours

Car mon adolescence était alors si ardente et si folle

Que mon cœur, tour à tour, brûlait comme le temple d’Ephèse

Ou comme la Place Rouge de Moscou

Quand le soleil se couche

Et mes yeux éclairaient des voies anciennes

Et j’étais déjà si mauvais poète

Que je ne savais pas aller jusqu’au bout 

Blaise Cendrars.  La prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France, 1913.

 

Cendrars, qui ne porte pas encore ce nom, a 16 ans. Il s’ennuie ferme dans sa famille sise près du lac de Neuchâtel. Un soir plus agité que les autres, où son père lui reproche ses dettes dans les bistrots et les librairies, il noue les draps de son lit et s’enfuit par la fenêtre. Nous sommes en 1905. Il part en Russie. Là il apprend aussi bien l’écriture cunéiforme auprès d’un vieux moine, que la légende de Novgorod, ou encore le maniement des armes. Il rencontre un joaillier qui veut le marier de force à sa fille. Il s’enfuit à nouveau par le transsibérien. Ce sont les premiers massacres de la pré-révolution. La mort rode. Il traverse la mort. Il ne reviendra pas. Celui qui prend le nom de Cendrars, - Blaise pour " braise ",  Cendrars  pour " cendres "- tiré des cendres encore fumantes de son enfance, est né d’une rupture :

Foutez mon enfance par terre

Ma famille et mes habitudes

Mettez une gare à la place

Ou laissez un terrain vague

Qui dégage mon origine

(Au cœur du monde, 1917)

 

Moment de rupture, prise de risque, l’adolescence est bien ce moment singulier où un sujet qui jusque là s’est construit contre , et parfois tout contre, les totems et les tabous parentaux, va se faire voir ailleurs. Jusque là les mises en scène dignes d’Œdipe lui ont donné une place intra-familiale. Mais dans une redistribution momentanée des cartes , il va jouer sa partie dans le monde.

L’invention de l’adolescence.

L’idée d’adolescence est une invention moderne. Si l’on en trouve trace dans l’histoire, c’est surtout pour rendre compte de ce temps particulier où un sujet saute, comme dans un vide, de l’univers familial à l’univers social. Adolescens (qui est en train de grandir), par  exemple au Moyen-âge, comme nous le montre Philippe Ariès, est une dénomination commode, qui obéit à la loi de rythmes imposés aux âges de la vie. (L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, Plon, 1960) La vie des hommes s’écoule sur 12 cycles de 7 ans. L’Adolescencia est ce temps contenu théoriquement entre 14 et 21 ans. Sans plus. Ensuite les points de repère de cette période sont on ne peut plus flous. En effet deux pierres de touche bornent de tout temps le période adolescente : la nubilité, autrement dit l’âge de se marier, et l’âge de la mise au travail. Temps de la reproduction et de la production assignent le temps de l’adolescence. Inutile de dire que selon les moments de l’histoire, en fonction des besoins en enfants et en travailleurs, ces deux bornes sont soumises à fluctuation. Le temps dit de l’adolescence est plus ou moins élastique. De 12 ans au Moyen-âge, à 33 ans chez ce moine du XIV, qui note en marge de son travail de copiste : " J’étais adolescent, j’avais 33 ans… ". Alors quel âge, les adolescents ? On est bien en peine de répondre. Aujourd’hui, en ces temps troublés où la machine capitaliste tente de se débarrasser de la force de travail des hommes au profit des machines, cette période s’étend jusqu’à 27/28 ans. Et pour le travail et pour le mariage. On a donc bien à faire avec le concept d’adolescence à un concept flou et mou. Tel qu’on le connaît , tel qu’il déforme aussi nos visions des jeunes êtres que sont nos enfants, ce concept est né au moment de la Révolution. Jean-Jacques Rousseau, piètre père de famille mais grand hâbleur des sciences de l’éducation, met en garde ses contemporains contre cet être pas tout à fait humain, pas tout à fait domestiqué, qu’est l’adolescent. C’est " un moment critique ". Envahi de forces qui le bouleversent, soumis à un dérèglement de tous les sens, l’adolescent doit être surveillé comme le lait sur le feu. Il peut se mettre en danger et se révéler une source de désordre pour son environnement. L’invention de l’adolescence comme classe dangereuse ne fait que reprendre une catégorie qui a servi jusque là à stigmatiser l’enfant. Et notamment l’enfant anormal. Depuis l’Antiquité gréco-latine, l’enfant jugé anormal est soumis à un régime d’ambivalence permanente : soit condamné et rejeté, soit protégé et survalorisé. Supprimé carrément à Athènes et à Sparte, il peut aussi dans le même temps faire l’objet d’une sacralisation à outrance. Les thèmes dominants quant à l’enfant jugé anormal pour des raisons de difformité physique ou psychique, se regroupent autour de deux pairs d’opposés : sain/malsain et pur/impur. Dans une lettre à Lucilus, Sénèque va jusqu’à témoigner de " l’aversion naturelle qu’il éprouve pour ces monstres " et il prône une ligne éducative claire : " il s’agit de séparer des parties saines celles qui peuvent les corrompre ". (Maurice Capul, Les enfants placés sous l’Ancien Régime, Privat, 1989)

L’adolescent : un danger public..

Cette thématique de la corruption, qui court tout au long de l’histoire des enfants, on peut en voir un effet de bascule dans le discours de Rousseau, qui conditionne largement toute notre vision moderne de l’adolescence. Les qualificatifs jusque là attribués à l’enfant glissent. On assiste à la fabrication d’un enfant idéal, source d’innocence pervertie par la malignité de la société. Du coup la marque de l’impur et du malsain est endossée par l’adolescent dont Rousseau invente pour la première fois les coordonnées en terme de " moment critique ". L’adolescent comme lieu du désordre culminera au début du siècle avec les recherches d’Ernest Dupré sur la répression des mineurs et la médicalisation de son traitement. Le clou reste la publication par un certain Duprat d’un travail très documenté sur  La criminalité dans l’adolescence. Causes et remèdes d’un mal social actuel  (Paris, 1909) L’adolescent y est décrit comme  un vagabond-né, épris de voyages, de déplacements, profondément instable, inquiet et incapable de résister à ses pulsions. C’est un malade en puissance avec sa pathologie propre : l’hébéphrénie, définie comme " un besoin d’agir qui entraîne le dédain de tout obstacle et tout danger " et qui pousse au meurtre. D’où la nécessité de surveiller (et punir) cet état morbide. Les fameux " savageons " d’un homme politique bien connu ne sont qu’un revival de ces modes de stigmatisation. Retenons cependant que la nomination, le classement, la catégorisation, dont on entoure l’adolescence ne sont pas sans répercussions sur l’approche qu’en  fait le discours social. Les mots font les choses. Toute la pensée scientiste du XIX ème siècle aboutit à la prise en charge des adolescents à la mesure de cette stigmatisation. L’adolescent se trouve appareillé à une forme de médicalisation répressive, de la même façon qu’aujourd’hui le qualificatif de " sauvageon " trouve son prolongement dans la création des CER (Centres éducatifs renforcés) où le modèle éducatif prôné semble surgir, tel un fantôme du passé, des ombres grimaçantes de la correction et du redressement. C’est dire à quel point les représentations de l’adolescence sont infiltrées par ces images d‘un être tordu qu’il s’agit de redresser. La Cardinal de Bérulle en son temps l’avait bien dit : l’éducation vise à corriger les enfants : ils naissent naturellement mauvais. C’est encore à travers ces lunettes teintées de rejet, de mépris et d’inquiétude que nous apparaissent les adolescents d’aujourd’hui. Peut-être serait-il temps non seulement de dépoussiérer nos lunettes , mais plus vraisemblablement d’en changer.

Le fait pubertaire.

Freud pour sa part ouvre une brèche dans ces représentations rétrogrades. L’adolescence chez Freud n’existe pas. Ce qui est pris en compte c’est ce passage délicat de l’enfance à l’état d’adulte qu’on nomme puberté, et dont les manifestations qui transforment l’être dans son corps, dans son psychisme et dans son espace relationnel, sont connus depuis tout temps. Dans ses Trois essais sur la théorie de la sexualité Freud aura cette belle image : la puberté est comme un tunnel qui doit être creusé des deux coté, du coté de l’enfant et du coté des adultes qui l’entourent. Autrement dit la prise en compte des transformations liées à la puberté sont l’affaire de tous. Il s’agit avant tout d’entendre comment un enfant se débrouille de ce passage et de lui faciliter la tache. De son coté l’enfant ne peut se soutenir que du désir d’occuper sa place dans le monde ; et pour sa part l’adulte doit favoriser cet avènement dans le social d’un sujet, quelles qu’en soient les modalités. Ce passage au bout du compte, lieu d’émergence d’un sujet, responsable de ses choix, ne peut s’avérer qu’étrange et énigmatique. Cela exige de la part des adultes qu’il soient un peu au clair sur l’ordre du monde dans lequel ils accueillent l’enfant grandissant. Au clair sur les réseaux de filiation et les appareillages symboliques qui en constituent la trame . Sinon, faute de cette clarification , les jeunes ne peuvent être vécus que comme facteurs de désordre.

Déclin du père.

Nous vivons dans un monde où les fondements de l’homme qui font de lui, comme le souligne Jacques Lacan, un " parlêtre ", un être de parole, sont sérieusement bousculés. L’insertion dans la culture des enfants et des adolescents relève d’une fonction d’humanisation que la psychanalyse repère comme " fonction paternelle ". Evidemment cette fonction que l’on croirait naïvement l’apanage des pères, chacun d’entre nous en est responsable. La fonction paternelle, en effet, conditionne les modes d’entrée d’un sujet dans la culture, notamment dans le concret du langage. A travers la transmission d’un interdit fondateur, l’interdit de l’inceste, s’origine une place dans la communauté humaine pour un sujet. Mais cette transmission, qui situe un enfant dans l’ordre de la culture familiale, à partir du repérage dans la filiation, mais aussi de la culture sociale, puisqu’il est le terreau à partir duquel un sujet posera des choix de vie qui lui appartiennent, est gravement atteinte dans notre civilisation. Ce qui a pris le pas sur cette transmission dont la famille est le creuset, c’est le discours de la science. Soyons clair : jusque là la désignation des pères et des mères se faisait dans la circulation d’une parole : une femme dit à un homme que l’enfant qu’elle porte est de lui. C’est proprement cette parole singulière qui fonde et une mère et un père, pourvu qu’il s’y soumette et y croie. La paternité , lieu de transmission de la culture, est donc un paradigme qui repose sur une totale incertitude et une foi sans preuve en la parole de l’autre. Aucun homme digne de ce nom n’aurait l’idée de demander une expertise génétique pour vérifier les dires de sa femme. C’est pourtant ce qui récemment s’est produit dans notre culture. La loi sur la filiation depuis 1990, en France, donne le droit d’éxiger une telle preuve. Nous n’avons pas encore pris la mesure des conséquences qu’entraînent ce changement. Cette modification des fondements du droit de la filiation atteint profondément les modes de transmission parentaux, principalement en ce qui concerne l’avènement d’un sujet à la loi de la parole et du langage. Si la parole d’une mère ou d’un père doit être, pour trouver son point d’efficacité, garantie par la science et ses comités d’experts, qu’en est-il de la vérité que promeut cette parole? Nous assistons à un écrasement de la vérité, émergeant du lieu d’une parole singulière, sur l’ordre de la vérification. Lacan nous en avait averti à l’Ecole Normale Supérieure le 1er décembre 1965, dans une conférence intitulée : La science et la vérité. (Ecrits) " De notre position de sujet nous sommes toujours responsables ". A confondre savoir de la science et vérité du sujet parlant, c’est toute la construction d’une place de sujet qui est remise en cause. Les jeunes que nous voyons vivre aujourd’hui sont profondément atteints par cette chute vertigineuse des valeurs symboliques. Le monde auquel nous les convions est un monde sans consistance, où les seuls choix de vie possible oscillent entre la dernière paire de pompes Adidas et le dernier film impérial de Spielberg, où les échanges entre humains sont réglés virtuellement par internet sans qu’on ait jamais à se confronter à l’autre. Nous aurions alors créé comme l’écrit le psychanalyste Jean-Pierre Lebrun : Un monde sans limite. Nos enfants sont de bons enfants puisque c’est dans ce monde sapé à sa base qu’ils tentent malgré tout de faire leur chemin. Beaucoup n’y arrivent pas… Qu’on les chosifie sous l’étiquette de sauvageons n’arrange rien. En quoi leur ouvrons nous un monde humanisé, où la violence inhérente à tout humain trouve à se médiatiser dans des dispositifs culturels créateurs ?

Anne, ma soeur Anne, ne vois-tu rien venir à l’horizon ?

Un petit espoir cependant. Il faut croire que l’être humain, malgré sa fragilité, sait survivre même dans les conditions les plus atroces. C’est ce que nous ont appris les rescapés des camps de la mort. Aucun animal n’aurait pu y survivre. Il faut dire aussi qu’aucun animal n’aurait pu les construire. Et pourtant certains y ont soutenu à bout de bras une certain idée de l’humanité, faite de désir de vivre, d’attention à autrui, et de culture partagée. Cette position, le philosophe Alain Badiou la nomme éthique. (L’éthique. Essai sur la conscience du mal, Hatier, 1993)

Autre signe de l’éthique. Récemment le monde de l’édition annonce une révolution : la vente des dictionnaires de rimes a été multipliée par cinq dans l’année. Qui achète ces dictionnaires qui font partie de la boite à outil de tout prétendant sérieux à l’exercice de la poèsie ? Des jeunes … tiens ; premier étonnement. Quels jeunes ? Des jeunes en échec scolaire, qui, pour la  plupart, ont déserté les lieux officiels de diffusion de la culture. Tiens, tiens ! Mais encore ? Il s’agit de jeunes rappeurs qui sont en train de redécouvrir à leur façon les point d’ancrage de tout sujet, ceux dont j’ai dit justement qu’ils relevaient de la fonction paternelle. Mettant leur passion d’expression à l’épreuve de l’ordre de la langue : vocabulaire, syntaxe, grammaire, métrique de la poésie classique, rimes et rythmes de la versification, ces jeunes inventent la culture de demain. Ils l’inventent en dehors des sentiers désertés par la pensée et la création. L’enjeu pour eux est vital : vivre parmi leurs frères en humanité ou disparaître. Et si nous les écoutions ? Ils disent à quel point ils ne peuvent se construire qu’en retrouvant en quelque sorte le chemin du père, le père de la parole et du langage . Mais dans le même temps ils nous envoient le message que ce père là, notre père de la culture, à lui donner le visage féroce de la science, à le marchander sur l’étal de l’économie de marché, à le réduire aux gadgets de la technologie et du management industriel, bref à en faire le suppôt du capitalisme spectaculaire et marchand, il n’est plus crédible. C’est ailleurs, dans d’autres semblants, d’autres totems et tabous, qu’il leur faut le faire vivre. Voilà la leçon. Irons-nous à leur rencontre pour découvrir avec eux le visage du nouveau monde ? Ou bien continuerons-nous du haut de notre superbe à les taxer de " sauvageons " ?

A Bordeaux, dans une rencontre avec un groupe de psychanalystes autour de la culture Hip-Hop, un jeune rappeur leur disait : " On ne nous donne pas les moyens de nous exprimer, on ne nous aide pas à s’exprimer, on n’a pas non plus les moyens matériels pour pouvoir faire passer une expression et pourtant il y a le besoin d’exprimer quelque chose qui reste ". Et il ajoutait : " A travers le Hip-Hop, il n’y a pas seulement de l’art , il n’y a pas seulement de la création linguistique, il y a aussi un questionnement sur le positionnement dans un univers nouveau et oppressant, lié au phénomène d’urbanisation, il y a des questions qui sont posées, des réponses qu’on essaie d'apporter ". (La lettre mensuelle de l’Ecole de la Cause Freudienne n° 178, mais 1999)

Joseph ROUZEL, psychanalyste, formateur en travail social.

Joseph Rouzel à publié :

Parole d’éduc. Educateur spécialisé au quotidien, Eres, 1995.

Le travail d’éducateur spécialisé. Ethique et pratique, Dunod, 1997.

Le quotidien dans, les pratiques sociales, Théétète, 1998.

L’acte éducatif. Clinique de l’éducation spécialisée, Ers, 1998.

 

 

Texte 4 : Le temps du sujet.

A paraître dans un ouvrage collectif "Les temps de l'usager" chez Dunod, sous la direction de Chantal Humbert de l'ANDESI. (fin 2000)

 

« Il est certain que se coltiner la misère,

c 'est entrer dans le discours de ce qui la

conditionne, ne serait-ce qu 'au titre d’y

protester». Jacques Lacan, Télévision.

 

 

Au début de la Genèse, les Elohim, terme que l'on traduit par Dieu, après avoir créé le monde dans un acte de séparation : le ciel en haut et la terre en bas, après avoir peuplé ces lieux d'animaux, les oiseaux dans le ciel, les poissons dans l'eau et les autres sur terre, façonnèrent cet animal étrange à partir de l'humus, c'est pour cela qu'on l'appela par la suite humain : humain, le terrestre. Cet animal étrange  eut pour première caractéristique de parler. L'homme ou l'animal qui parle, voilà une définition on ne peut plus simple de l'humanité, une définition un peu... humble (même étymologie : à ras de terre). Mais les Elohim constatèrent que l'homme pour parler a besoin d'un interlocuteur, d'un semblable : «Il n'est pas bon que l'homme soit seul, pensèrent les Elohim, nous allons lui faire une aide semblable à lui.» Et les Elohim se mirent à inventer toute une série d'animaux qu'ils firent défiler devant l'homme pour voir quel nom il leur donnerait. Mais l'homme eut beau leur donner des noms cela ne fit d'aucun un compagnon, un semblable. Le langage n'est pas fait pour nommer, il est fait pour faire exister des sujets dans le lien social. C'est ainsi que les Elohim en vinrent à créer une compagne à l'homme. Ils la créèrent en lui en enlevant un morceau. La femme naquit d'un manque dans l'homme. De là à s'imaginer qu'elle est justement l'objet qui lui manque, il y a un pas... infranchissable

 

Voici un mythe célèbre qui nous enseigne ce qu'il en est du langage et de l'animal parlant. Le langage est le lieu où chaque sujet se fait naître face à autrui. L'origine du langage est un manque, un trou dans le corps. Autre conséquence, ce ne sont pas des choses déjà là qui produisent les mots, mais les êtres parlants qui produisent et façonnent les choses en les parlant.

On connaît la suite de l'histoire. L'homme et la femme de l'origine ayant goûté à la jouissance, ce qui les ferait non-manquants, sont exclus des verts paradis d'Eden. Ce mythe biblique fonde l'être parlant comme exclus. Nous sommes tous des exclus ! L'être humain est dès lors un animal dénaturé, chassé d'une relation instinctive à la nature, condamné dans son rapport au monde et aux autres à en passer par la médiation du langage. L'homme, sorti de l'humus est exilé de l'origine. Voilà la leçon que l'on peut retenir de ces prémisses d'une anthropologie antique.

 

Finalement comme le rappelait récemment Michel Chauvière: «Les mots font les choses ». Ce grand détour pour en arriver à ce constat : la force de création du langage, ce pouvoir du signifiant de découper dans le monde des unités de sens, est une des clés pour entamer une réflexion sur ce qu'il en est des usagers dans le secteur social et médico-social. Dans un ouvrage récent, Le travail d'éducateur spécialisé, j'ai souligné à quel point la nomination des personnes dans ce secteur renvoie à la catégorie de l'innommable.1 Passant en revue le vocabulaire qui désigne les populations qui relèvent de l'action sociale on aboutit à un constat : une stigmatisation des personnes à travers la nomination, et un mode de relation induit, où la prise de pouvoir des techniciens (ES, ME, ETS, AS, EJE, CESF, AMP...) est prédominante. Infantilisation, voire réification d'un coté; toute puissance de l'autre. Les mots font les choses. Les mots font les êtres assignés à résidence dans une dénomination, ils font aussi les rapports entre noms et donc entre fonctions. Entre les travailleurs sociaux et la cohorte des «pris en charge»,  s'ouvre tout un monde d'aliénation sociale. Les représentations s'ouvrent en miroir. Du coté du travailleur social se déploie une maîtrise illusoire, où il tente vaille que vaille de ramener tous ces «exclus» dans le droit chemin : il n'en est qu'un - celui du discours dominant; du coté usager se développe une jouissance à devenir la chose de l'autre et le déchet de la société. Heureusement parfois certains résistent à se faire chosifier. S'ouvrent alors à eux les stratégies du mépris, ou dans le meilleur des cas de la ruse : laisser croire au travailleur social qu'il tient le bon bout du manche, pour profiter des miettes du système. Dans tous les cas un mot signe ce type de lien social : aliénation. Entendons le terme sur son versant politique mais aussi psychiatrique : l'aliénation sociale se double de l'aliénation mentale. Dans ce grand roman qu'est Molloy, Samuel Beckett met en scène une rencontre entre Molloy, arrêté on ne sait pas trop pourquoi dans un commissariat et une assistante sociale.

«Elle me tendait un bol plein d'un jus grisâtre qui devait être du thé vert sacchariné, lacté à la poudre, dans une soucoupe dépareillée... Je vais vous dire une chose, quand les assistantes sociales vous offrent de quoi ne pas tourner de l'oeil, à titre gracieux, ce qui pour elles est une obsession, on a beau reculer, elles vous poursuivraient jusqu'aux confins de la terre, le vomitif à la main... Non, contre le geste charitable, il n'existe pas de parade à ma connaissance. On penche la tête, on tend les mains toutes tremblantes et emmêlées et on dit merci, merci madame, merci ma bonne dame. A qui n' a rien, il est interdit de ne pas aimer la merde.» Molloy trouve pourtant la force de tout envoyer balader, la tasse de thé grisâtre, la tartine de pain sec et celle qui essaie de les lui fourguer. Bien sûr la scène est violente. L'une veut faire le bien de l'autre qui s'y refuse. Mais n'est ce pas le paradigme de cette relation qu'il convient d'interroger? Cette volonté farouche de faire le bien de l'autre, Emmanuel Kant n'y voyait-il pas l'essence même de la tyrannie? Peut-on fonder la relation induite par le travail social sur d'autres principes que ces relents de charité religieuse ou laïque? Comment en sortir? Sans doute en inventant de nouveaux rnots, des .mots qui disent la fraternité entre les hommes quels que soient les coups du sort

1 «Les innommables», in Le travail d'éducateur spécialisé, Dunod, 1997, p. 130-134

qui en frappent certains. Mais la fraternité ne tient qu'encadrée par l'égalité et la liberté. Qu'est ce qu'une fraternité qui ne basculerait pas dans le registre de l'aliénation ? Sans doute pour répondre faut-il s'appuyer sur les fondements du droit qui a pour fonction de réguler les modes de jouissance entre les hommes. A la raine du droit siège cette loi de structure de l'humanité : la parole et le langage.

 

Le clou de la réification par les mots, c'est l'avènement dans le champ social, au cours des années 70, des termes d'exclus et d'exclusion. Inauguré par l'ouvrage de René Lenoir en 1974, il a depuis fait carrière.2 C'était la première fois qu'un haut fonctionnaire prenait la plume pour poser le problème et envisager des solutions. Dans la foulée Giscard lui proposa de devenir Secrétaire d'Etat chargé de la question. Notons qu'à l'époque l'exclusion était abordée surtout sur son versant de la pauvreté, donc en termes d'en avoir ou pas. C'est d'ailleurs le titre de l'ultime chapitre de l'ouvrage de Lenoir: «Celui qui a et celui qui n'a pas. ». L'accent y est mis par l'auteur sur l'inégalité dans la répartition des richesses. D'où une conclusion logique: diminuons par tous les moyens cette inégalité. Avec déjà quelques premières indications du coté d'un minimum social non lié au travail. Le RMI sera voté 14 ans plus tard le ler décembre 1988. Dans l'analyse qu'en fait Serge Paugam en 1993, le RMI ne relève plus seulement du concept de l'avoir, mais aussi de la dette.3 L'Etat élu comme grand Autre de chaque citoyen aurait une dette envers ceux que 1' on nomme exclus. D'où un retour en boomerang de la dette sous la forme du contrat d'insertion, sans évacuer cette ambiguïté concernant l'insertion sociale ou professionnelle. Voilà un idéal qui 25 ans plus tard a la peau dure : on peut voir ce que ça a donné ! C'est justement ce que tentent deux auteurs en 1995. Jean-Baptiste Foucault, ancien commissaire au plan et Denis Piveteau, Maître des requêtes au Conseil d'Etat, se penchent une fois de plus sur le lien social et l'exclusion.4 Ils font d'abord le diagnostic de la crise du lien social à partir d'un symptôme bien connu : la solidarité dans les villages et les quartiers n'est plus ce qu'elle était. Mais en poursuivant leur réflexion ils tombent sur un os : l'exclusion pourrait avoir à faire avec un non-sens radical : être le rebut de l'amour. «Si je m'attache à vous, c'est que quelque chose nous lie. Et si personne ne voulait s'attacher à moi?» questionnent les auteurs. Il y a chez tout sujet quelque chose qui résiste au lien social. Freud pointe cette chose du coté de la pulsion de mort et Lacan du coté de la jouissance. Un des fondements de la socialité est de faire barrage à la jouissance en lui opposant une dérivation dans la culture. «L'éducation, affirme Freud dans ses premières conférences dès 1917, c'est le sacrifice de la pulsion». Mais il demeure dans la pulsion un fond «inéducable» ajoute Freud. Il se joue autant dans le camp des possédants que des pauvres. Ce fond de jouissance qui résiste aux appareillages culturels, fait le lit des

 

2 René Lenoir, Les exclus, Seuil, 1974.

3 Serge Paugam, La société  froaçaise et ses pauvres, PUF, 1993.

4 Jean-Baptiste Foucault et Denis Piveteau, Une société en quête de sens, Qdile Jacob, 1995.

 

 

positions subjectives dans le lien social. Si le capitaliste enfourche la jouissance du maître,  les exclus occuperaient alors dans le champ social cette place de rebut de l'humanité, comme on dit. Rebut, déchet industriel, à recycler. Ce recyclage s'appelle l'insertion. C'est un discours : la deuxième face de la médaille de l'exclusion. Les auteurs glissent doucement vers cette impasse à partir d'un constat «la disparition des cercles d'appartenance obligés crée une nouvelle obligation, qui est pour chacun, d'entreprendre soi-même les formes de son insertion sociale». Que chacun se débrouille ! Et s'il n'y arrive pas, c'est bien de sa faute. La culpabilité des exclus pointe son nez : ils l'ont bien cherché ! A cette position individualiste, nous verrons qu'il convient d'opposer un positionnement subjectif. « De notre position de sujet, nous sommes toujours responsables». disait Lacan dans une conférence qu'il fait le 1er décembre 1965 à l'Ecole Normale Supérieure.5 Responsables, mais pas coupables, crie en écho une de nos anciennes ministres. Nous verrons que c'est du lieu de cette subjectivité réaffirmée, mais qui va à l'encontre du discours dominant, d'où sa fonction de subversion, que le travail social peut à mon avis retrouver son sens. Il s 'agirait alors, dans la rencontre inter humaine qui est le coeur de la pratique sociale, d'accompagner et de soutenir chacun à être responsable, c'est à dire à répondre de la façon dont il se débrouille avec sa propre jouissance. Ce point fonde ce que j 'ai désigné comme «une clinique et une éthique du sujet» dans les pratiques sociales. Le sujet de la psychanalyse, n'est ni l'individu, ni la personne, mais ce qui vient émerger d'unique dans la rencontre avec le collectif.  Cette position éthique   renvoie dos à dos les tenants d'un holisme communautaire comme ceux d'un individualisme forcené. C'est pourquoi Lacan concluait vers la fin de sa vie que «l'inconscient, c'est le social». Prendre en compte cette dimension de l'inconscient traversant le champ social et faisant apparaître au point de choc, un sujet, n'est pas sans conséquence pour le travail social. 6

 

Qu'est ce que l'exclusion? Faisons un petit pas de côté pour la définir. Un des théoriciens de l'exclusion est paradoxalement un mathématicien, Evariste Galois. Passionné par les femmes, les mathématiques et la révolution, ce jeune homme~fougueux, fut un des premiers à dégager la notion de structure. Son premier rapport à l'Académie des Sciences en 1831 fut rejeté et il mourut dans une histoire banale de duel pour l'honneur d'une dame l'année suivante. La veille au soir il confia à son ami Auguste Chevalier un véritable testament mathématique qui

           

               5 Jacques Lacan, «La science et la vérité », Ecrits, Seuil, 1966.

6 Sur cette approche de l'exclusion, on lira avec intérêt la réflexion de Pierre Naveau parue dans le bulletin de

l'Association de la Cause Freudienne voie-Domitienne, sous le titre de «Lien social et exclusion ». Tabula, n°2, avril 1998. Ce texte est issu d'une conférence faite par Pierre Naveau qui est psychanalyste, à Montpellier le 29 mars 1999. 

 

résume l'ensemble de son oeuvre. Que nous apprend Evariste 'Galois sur l'exclusion? Que tout ensemble fonctionne à partir d'un élément exclus. Aucun ensemble ne peut s'auto-définir. Cette avancée précieuse de la formalisation mathématique aboutira aux travaux du groupe Bourbaki sur la théorie des ensembles dans les années 50, avec l'énoncé de ce point incontournable de la doctrine : l'ensemble de tous les ensembles n'existe pas. Un ensemble se définit à partir d’un élément qui ne lui appartient pas.  On peut en tirer comme conséquence sur le plan strictement  social, qu'un groupe humain ne se construit qu'au prix d'un élément exclus.  La pratique du langage et la  linguistique nous enseignent l'équivalent : le langage est une pratique d'exclusion. Comme le précise Jacques Lacan «le mot est le meurtre de la chose». Une des plus belles illustrations de cette structure où un ensemble ne con-siste que si un des éléments ex-siste dans l'exclusion, c'est ce petit jeu des enfants que l'on nomme taquin ou pousse-pousse. Il s'agit d'un jeu présentant une série de cases que l'on peut déplacer: d'un coté il y a les lettres de l'alphabet et de l'autre des chiffres. Le but de l'opération est de faire glisser chiffres ou lettres afin de composer des mots ou des opérations. Pas besoin d'être grand clerc pour constater que le jeu n’est possible que parce qu'il y a une case de vide. L'élément exclus est donc bien ce qui permet le jeu.

 

Dans toute organisation sociale il en va de même. C'est ainsi que pendant longtemps la société hébraïque a fonctionné à partir d'un rituel d'exclusion : celle du bouc émissaire. Chaque année, lors de la fête des Expiations, en présence du Grand Prêtre, chaque membre de la communauté confessait ses manquements à la loi, et l'animal en était symboliquement chargé. Chacun se faisait responsable en se déchargeant momentanément de sa part de culpabilité. Ensuite le bouc était chassé dans le désert. La pratique d'exclusion d'un bouc a bien, à partir d'un manque, introduit deux fonctions : une fonction cathartique de purification pour chacun et une fonction de cohésion sociale pour l'ensemble du groupe. Toute communauté humaine ne survit qu'au prix de se souder face au mal rejeté à l'extérieur. René Girard a beau jeu de dénoncer que «les boucs émissaires pullulent partout où les humains se referment sur une identité commune, nationale, raciale, religieuse... », ce qu'il n'entrevoit pas c'est que cette pratique structure le lien social.7 Il me semble que la seule question à ouvrir est le déplacement de ces pratiques, du réel des corps de ceux qui en supportent le poids, vers des rituels de symbolisation. A ce titre mieux vaut l'engouement pour le mondial de foot que ce que certains appellent malheureusement de leurs vœux : une bonne guerre.8 Car cette pratique sociale de l'exclusion est aussi ce qui paradoxalement unifie un peuple en temps de guerre. Et même lorsque la guerre se fait plus froide, plus insidieuse, on a vu récemment les peuples occidentaux

        7 René Girard, Je vois Satan tomber comme l 'éclair, Grasset, 1999.

8 L'ethnologue Christian Bromberger a su montrer comment les grandes compétitions sportives, notamment le

foot, sont mises en scène comme substituts de la guerre, tout en en conservant les marques. Christian Bromberger, Le match de foot. Ethnologie d’une  passion partisane à Marseille, Naples et Turin, Ed. de la Maison des sciences de l'homme, 1995.

 

 

 

se tenir les coudes au prix de rejeter dans les ténèbres le bloc communiste, après s'être ligués contre l'hydre nazie. Il faut dire que ces temps-ci les pratiques de cohésion sociale par exclusion  sont en perte de vitesse, d’où sans doute les phénomène structuraux de déliaison sociale. Mais rassurons-nous : les voies d'exploration se poursuivent dans deux directions.  La première est une tentative d'englober comme ennemi commun l'ensemble des peuples islamiques et la seconde, que nous subissons de plein fouet, l'invention des exclus de l'intérieur. Il faut dire qu’à cette place toute désignée, certains de nos contemporains viennent de fait se loger. La où l'intelligence du peuple hébreu chargeait un animal de la fonction d'exclusion, nous la faisons «prendre en charge» par des franges entières de population. Belle régression pour une civilisation qui se vit orgueilleusement comme à la pointe du progrès social. Les éclopés de la vie, les fous, les démunis, les marginaux, les déviants, les anormaux... ont depuis les années 70 revêtu cet habit de bouc émissaire. Bien entendu nous sommes dans une société enduite d'un humanisme bon teint, avatar de la charité chrétienne. D'où dans le même temps une mise en place des processus, des injonctions pourrait-on dire,  d'insertion. Si l'exclusion sociale, la mise à l'écart des réseaux symboliques, frappe de plein fouet beaucoup de nos contemporains, c'est bien parce qu'elle a une efficacité sociale : maintenir la cohésion du groupe qui, il faut bien le dire, se réduit de jour en jour. Paradoxalement on peut dire que la fracture sociale est le moteur de la cohésion sociale. Jusqu'a quand ? Jusqu'où ? Saurons nous inventer d'autres stratégies d'appartenance? Saurons-nous explorer d'autres voies   à l'implication de la découverte du jeune Galois? Saurons-nous jouer dans le symbolique, ce que nous avons mis en route dans le réel des corps et des esprits d'hommes et de femmes réduits au rang d’exclus? Peut-on, dans le couple infernal travailleur social-personne prise en charge, introduire une dimension d'altérité tierce, de telle façon qu'elle vienne rompre les mécanismes d'aliénation. ? C'est toute la question.

 

On pourrait penser que la recherche de solution se situe du coté de la loi. «Tous égaux devant la loi» fondant un principe d'équité au sens où il ne signifie pas tous pareils, mais tous fondés en différence à partir du tiers de la loi. L'avènement de la notion d'usager de droit du service social permettrait-elle d'ouvrir cette refondation du lien social? Récemment on en est venu dans le vocabulaire du travail social  à réinvestir ce concept. Cette nouvelle dénomination, réchauffée il faut le dire dans des soupières bien anciennes, viendrait casser le cercle infernal digne du Dante, de l'exclusion. Réfléchissons un peu sur ce terme.

 

L'usager, dit-on. Quel drôle de mot ! Le Code Civil de 1805 précise que "l'usager est titulaire d'un droit réel d'usage sur une chose ou un bien appartenant à autrui, qu'il ne peut céder, ni louer à un autre", par exemple le droit de pâture, ou celui de ramasser du bois laissé après les coupes, ou encore de grappiller après vendange. L'usager est donc d'emblée un ramasse-miettes, un être de la marge auquel on condescend quelques droits de survie. Malheureusement le concept porte lourdement jusque dans l'équivoque cette tache. Issu d'un processus social de stigmatisation, l'usager est, avant même l'application du droit, assigné à résidence dans une catégorie d'exclusion et d'infamie : l'usagé. Celui que la logique sociale, avant même qu'il puisse faire valoir son droit de sujet, a déjà usé jusqu'à la corde. Comment dans un travail dit social sortir de cette logique ? La «fabrique des exclus»9 tourne plus vite que toute velléité d'insertion, enfermant chacun dans une contradiction si terrifiante que la société capitaliste et marchande se fait une nécessité d'exiler de l'intérieur des groupes de population de plus en plus large. Ce n'est pas rien alors de les désigner comme usagers. Il n'est donc pas sûr que cette dénomination remise en selle récemment puisse ouvrir à des pratiques sociales de non-ségrégation, bien au contraire.

 

Sortir de cette logique fermée de ségrégation exige de faire un pas de coté et sans doute de jeter aux poubelles de l'histoire ces catégories infamantes l'exclusion et son revers bien pensant, l’insertion. Ces concepts mous inventés pour justifier dans la plus pure tradition scientiste la mise au ban d'une partie de nos contemporains, sont des outils de la réification des sujets. Tout usager est fait objet : de soin, de mesures, de contrôle etc. De plus le terme renvoie bien à une conception consumériste du droit, d'où les études sur les besoins des usagers.

 

Dans ce contexte j'ouvrirai une autre porte : celle d'une certaine clinique du sujet, comme je l'énonçais précédemment. 10 Les termes de sujet de droit et de sujet de l'inconscient sont à articuler.11 Il faut, comme nous le conseille Freud dans sa Psychologie collective et analyse du moi, cesser d'opposer le sujet et le collectif, et partant psychologie individuelle et psychologie sociale, l'un ne va pas sans l'autre.  Comment dans les pratiques sociales, en prenant appui sur la loi, tout en se dégageant des stigrnatisations infamantes des sujets, ouvrir une autre voie ? La clinique du sujet implique la prise en compte de chacun un par  un à partir des points d'insertion dans le social qui lui font souffrance. Le temps de la prise en charge débouche alors sur la mise en oeuvre d'un temps du sujet, d'un temps logique. Logique des mesures sociales et logique subjective ne vont pas toujours de pair. On réduit trop souvent le trajet d'insertion au parcours du combattant.  Le sujet tel que Freud en promeut les coordonnées marche bien souvent à contretemps, à cloche-pied. Le sujet boite là où on voudrait le faire courir. C'est ainsi, c'est de structure. Il y a et il y aura toujours ce malaise dans le social. 12 Le rapport du sujet à lui-même, dont Arthur Rimbaud avait bien

9 Jean Maisondieu, La fabrique des exclus, Bayard, 1997.

10 Joseph Rouzel «une clinique du sujet», L'acte éducatif, Erès, 1998, p. 101-107.

11 voir Gérard Huber, Le sujet de la loi, Michalon, 1999.      

12 Evidemment sur ce «malaise » je pense qu'on peut lire et relire la réflexion de Freud dans Malaise dans la civilisation, PUF, 1971, où il pose comme indépassable ce fait que chez l'être humain «ça ne marche pas». Le moins que l'on puisse dire, c'est que ce n'est pas fait pour s'arranger !

 

 

raison de dire qu’il en est « un autre», ne colle pas. Toute société a beau, comme le proclama Saint Just (l'Archange de la terreur !) prôner le bonheur obligatoire pour tous, ça ne fonctionne pas. A partir de cette faille dans le social, qui peut prendre diverses figures dont celui de la pauvreté, on a alors beau jeu de mobiliser les corps de métiers du travail social pour obtenir réparation à ces «foirades » 13  On attend alors des travailleurs sociaux un certain effet de pacification dans cette rencontre conflictuelle entre un sujet et son environnement. On attend une médiation, un passage. Cette pacification, il ne faut … pas s’y fier, car il y a au fondement du lien social quelque chose qui ne passe pas, ou alors ça se passe mal. Quelque chose d'une impasse. Cette impasse Freud la construit à partir d'un sujet lié à la recherche incessante d'un objet, perdu par essence, donc d'un manque. La culture, le langage, la parole, l'écriture et toute forme de lien social, permettent d'en supporter la perte, qui s'inscrit dans ces «ruines métonymiques», comme dit Lacan14,  dans ces ersatz, précise Freud. L'ersatz de l'objet vaut bien l'original, nous dit Freud, qui de toute façon... n'existe pas.

 

 

Mercredi 27 octobre 1999, au 30-32 quai d'Austerlitz a Paris, salle Ariane de la Seine-Espace. Il est 12 heures 45. Des hommes et des femmes studieux, front plissé et penchés sur des copies. Ils planchent sur  un sujet pour l'épreuve du CAFDES (Certificat d'Aptitudes aux Fonctions de Directeur d'Etablissement Social). Le sujet est le suivant:

 

«Comment la liberté de l'usager et sa participation à l'intervention sociale ou médico-sociale qui le concerne peuvent-elles être prises en compte dans la mise en oeuvre des actions par un établissement ou un service social ou médico-social ? A partir d'un secteur de référence que vous préciserez, analysez les enjeux d'une telle question, les textes afférents et leurs implications pratiques, du point de vue du directeur d'établissement ou de service. Vous avez quatre heures et droit à votre documentation. Bon courage. »

 

 

La difficulté pour répondre à la question réside dans une contradiction : d'un coté on prône la liberté de l'usager, de l'autre on intime l'ordre aux travailleurs sociaux de suppléer à la faille, voire la faillite sociale, ce qu'une voie électoraliste récente a dénoncé comme «fracture sociale», laissant miroiter qu'on puisse la réduire comme une fracture du péroné. Il suffit de trouver le bon remède Tous les textes qui forment la toile de fond de l'action sociale sont infiltrés par cette injonction au bonheur. Par exemple cette définition de l'éducation spécialisée que contient l'Article 1 des Annexes

 

13 J'emprunte ce terme - et on pourrait le conceptualiser comme fondement même du lien social - à Sarnuel Beckett, dans Pour finir encore, et autres foirades, Minuit, 1976.

14 Jacques Lacan, La relation d'objet, Séminaire IV, Seuil, 1994.

 

 

 

XXIV, circulaire n°89-17 du 30 octobre 1989, intitulée «reconnaître les besoins de l'enfant et de l'adolescent». «L'éducation spécialisée a pour but de répondre, après les avoir reconnus, aux besoins communs à tout enfant, (dont) leur aspiration a l'autonomie et a la maîtrise des risques». Reconnaître les besoins... autonomie... maîtrise des risques... Le vocabulaire est choisi. Tout a l'air de tenir. Et pourtant on peut voir comment se profile en sous-main de ce texte, un parmi des milliers qui émaillent la législation sociale, une idéologie féroce. L'humain y est rabattu sur ses besoins, son autonomie, sa maîtrise. L'animal-machine enfin tiré de son entropie constitutive serait soumis aux impératifs de la productivité et de compétitivité du marché des biens. Or l'homme n'est pas un être de besoin, mais un être de désir. On ne saurait reconnaître ce qu'il en est de ce désir-là, ni par l'observation, ni par des batteries de tests, ni par une quelconque mesure des écarts à une norme d'intelligence «Qifiée». Le désir, comme désir du sujet n'apparaît que dans et par la parole et le langage, autrement dit dans la confrontation à la loi.

 

«En cette fin de siècle, nous dit Philippe Lacadée, la voie scientifique s'oriente au contraire vers une pédagogisation du comportement, vers une psychologie cognitive du développement, où se met en place une morale ou un idéal universalisant, indiquant comment apprendre à être un enfant, à vivre dans sa famille, mais aussi à être parent; comment effacer sa propre division en la masquant par des identifications «prêt-à-porter» valant pour tous. » 15

 

Les tentatives jusque de nommer les « .... » du secteur social participent toutes de la logique de l'exclusion. La nomination stigmatisante des populations est toujours suivie dans les faits d'une mise en oeuvre de la ségrégation, à partir d'un discours des plus louables : faire le bien de l'autre. Le grand renfermement de Louis XIV; les colonies pénitentiaires de 1850; les classes de perfectionnement de 1909; la loi sur le RMI de 1988; les Centres Educatifs Renforcés pour «sauvageons », plus près de nous ...

Pour ma part, je pense qu'il faut faire un pas de coté pour,  comme dans l'Aïkido, répondre par l'esquive et prendre les choses par un autre biais : le temps du sujet. Dans le champ social, il ne s'agit alors sûrement pas de coller à une quelconque commande sociale. L'enjeu d'une clinique du sujet exige au contraire du travailleur social de la subvertir. Il s'agit alors dans les espaces de rencontre inter-humaine et de médiation qu'offre le champ social, de s'ouvrir à la façon dont «chaque un», chaque sujet pris un par un, invente ses propres réponses face au réel. Cette prise de parole passe par le décollage du sujet pris

 

15 Philippe Lacadée, Lieu d'adresse pour la souffrance, La Lettre mensuelle de l'Ecole de la Cause Freudienne, N° 183, déc. 1999, p. 18-22.

 

 

 

dans les rets de l'aide sociale, de la place de déchet de la société où on l'assigne et où il se laisse prendre, à celle d’acteur de sa propre histoire. La seule issue qu'il reste aux travailleurs sociaux qui ne veulent plus se cantonner dans «la collaboration », c’est la création de ces lieux d'accueil de sujets, en errance tant qu'ils n'ont pas trouvé à qui parler. En créant de tels lieux d'adresse de la souffrance, les travailleurs sociaux, contre vents et marées, peuvent se faire les passeurs de ces paroles singulières où, pour un sujet, se traitent des questions de vie ou de mort. Nul ne pourra faire à la place d'un autre l'épreuve de la «foirade » constitutive de l'être humain, qui se manifeste sous les espèces de la mort et de la sexualité. Nul ne peut faire le salut de qui que ce soit.

 

Le 16 novembre 1980, le philosophe Louis Althusser, dans un coup de folie, étrangle sa femme Hélène. Jugé dément au moment des faits au titre de l'Article 64 du code pénal, Althusser est renvoyé aux mains de la psychiatrie. En 1985, peu avant sa mort, il prend la plume pour témoigner du sens que revêt pour lui cet acte fou. Dès l'introduction de

L 'avenir dure longtemps, il dit à quel point d'avoir été soustrait à la justice l'a dépossédé de sa parole de sujet. Il écrit pour être considéré aux yeux de ses frères et soeurs en humanité que nous sommes, comme seul responsable de ce qui lui arrive. Il écrit pour rendre compte de ce qui lui arrive, jusque et y compris dans cet état pathologique, au nom duquel on veut le destituer, que l'on nomme la folie. «Nous ne sommes pas responsables de ce qu'on a fait de nous, mais de ce que nous ferons de ce qu'on à fait de nous» disait déjà Jean-Paul Sartre.6

 

Peut-être pourrait-on dire que le travail social n'existe pas. Mais le social, c'est à dire la façon de nous supporter les uns les autres, nous travaille et pose à chaque citoyen, quelle que soit sa condition, la question de ce qu'il en est pour lui du lien social. Les travailleurs du champ social peuvent-ils, veulent-ils, contre toutes les injonctions réifiantes  de la modernité, s'engager dans le soutien de la parole de chaque sujet rencontré ? Veulent-ils s'assumer comme responsables, en tant que sujet, de ce qui leur arrive ? Leur honneur et leur éthique se mesureront au prix payé pour poser cette question et en soutenir en acte les conséquences dans la pratique.

 

 

 

Joseph Rouzel

 

 

 

 

16 Sur Louis Althusser on pourra consulter, Eric Marty, Louis Althusser. Un sujet sans procès, Gallimard, 1999

 

 

 

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